Contextes - Penser la technique juridique - 149

thOMAS PASquIer

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exacte que possible de la réalité et une évaluation de cette réalité à partir
d'un système de valeurs61. Or, de ce point de vue, l'évaluation de l'efficacité
d'un dispositif incitatif paraît bien difficile à établir62. Ainsi que l'ont bien
montré des auteurs, les problèmes posés par l'évaluation sont pluriels63.
Le premier est celui de la re-présentation de l'objet évalué. Au plan de
la règle, si les dispositifs incitatifs fixent explicitement leurs objectifs, il
est des situations où la détermination des visées de la règle relève de la
pure incantation. Au plan de la réalité mesurée, il est encore plus difficile
d'appréhender les faits « bruts » inférés du corps social. À ce problème, les
économistes apportent une réponse : à l'analyse des faits, ils substituent
celle des chiffres et de la statistique. Cependant, de la même manière qu'il
est particulièrement difficile d'envisager un lien formel entre des dispositifs
juridiques et le taux de chômage, il apparaît difficile d'envisager que de
simples chiffres confirment la performance de techniques incitatives. en
effet, même à propos d'une récompense financière, comment établir que
l'employeur qui a choisi de s'inscrire dans un tel dispositif agit du seul fait
de l'incitation financière et non par souci moral (aider autrui), politique
(accompagner une politique gouvernementale) ou encore affectif (du fait
des liens personnels avec les salariés aidés) ? Les économistes eux-mêmes
d'ailleurs ne partagent pas tous cette vision et mettent en lumière à la fois
inexactitude des causes révélées64 et leur portée dogmatique65. C'est sans
doute la critique la plus dirimante à l'adresse des dispositifs d'évaluation
des effets incitatifs : celle-ci repose nécessairement sur une grille de lecture,
un système de valeurs, qui permet de penser la réalité. Or, le plus souvent,
ce système n'est pas énoncé, il est simplement donné pour acquis, et participe ainsi de la création d'un effet de réalité. C'est bien là le problème posé
61. A. Supiot, L'esprit de Philadelphie - La justice sociale face au marché total, Seuil,
2010, p. 115.
62. V. en ce sens, e. Serverin, « Les causes et les effets du non recours au rSA activité »,
RDSS 2012, n° 4, p. 603.
63. t. Sachs, préc., et e. Serverin, préc.
64. O. Favereau, Dr. soc. 2016, préc., p. 431.
65. O. Favereau, préc., « Voilà qui doit inciter les juristes à se départir de cette forme
délicieusement excessive de courtoisie : concéder aux économistes le monopole du discours
sur le réel. Il est au contraire souhaitable qu'ils donnent leur jugement critique sur les représentations des économistes, avant d'accepter leurs conclusions. Cette condition en entraîne
logiquement une seconde : il convient que les économistes s'obligent à expliciter le modèle
théorique ou la grille de lecture à partir desquels ils vont analyser ou commenter un texte de
loi pour que l'échange soit profitable aux deux parties. Ceci vaut également pour les études
dites "empiriques", quoique ce soit naturellement moins marqué. D'une part, la philosophie
des sciences moderne a depuis longtemps renoncé à l'idée (pourtant assez naturelle) qu'il
pourrait exister des faits observationnels purs, détachés de toute structure théorique. D'autre
part, les résultats empiriques ne parlent pas d'eux-mêmes. Leur interprétation nécessite
une grille de lecture, soumise à la critique, même dans le cas de figure où leur fabrication
ne suscite pas de contestations entre statisticiens (ce qui d'ailleurs n'est pas si fréquent) ».

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