Contextes - Penser la technique juridique - 45

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devient, et le but, et le principe limitatif de l'action, du pouvoir politique :
conception minimaliste du droit, qui assure le passage de l'ordre des fins
à celui des moyens, qui donc ne dit plus rien sur le sens ultime de l'existence
humaine, et qui, par ailleurs, tend à réduire à néant les autres fonctions de
l'État, dès lors considérées comme accessoires, subjectives, indifférentes.
De même, la liberté, bien que coquille vide, est présentée comme un
des fondements les plus sûrs du droit et de l'État. Les Modernes en font
le plus petit dénominateur commun des facultés humaines. Or, cette
entreprise de rationalisation et de réduction des idées et valeurs aux plus
évidentes, telles que validées par la raison, est dictée par la technique.
tout d'abord, en effet, la liberté n'est pas tout à fait une fin, mais une
faculté armée contre d'autres facultés, un moyen parmi d'autres. ensuite,
elle finira par se confondre avec la propriété, la fortune privée : l'argent,
le capital, en deviendront l'instrument de mesure, ce qui enferme encore
dans le calcul. enfin, caractériser l'homme par la liberté, c'est le définir
au fond par une inconnue, la négative : l'absence de pression extérieure.
La vacuité du concept de liberté permet au droit d'en faire, et de lui faire
dire, ce qu'il veut, de l'instrumentaliser29, d'autant que le droit ne prévoit
rien pour combattre les processus d'imitation, de mimétisme, qui sont
à l'œuvre dans toutes les sphères de l'activité sociale30. De surcroît, les
automatismes, en tant que types de reproductibilité et formes de servitude
aveugle, donnent la mesure du tour de force que réalise tranquillement la
technique31. Car au fond, la servitude n'est jamais volontaire : les termes
mêmes se contredisent. elle est égarement de la volonté, affaiblissement
de la conscience. une vision politique a-technicienne mériterait peut-être
alors d'être cultivée, par les voies du droit, et au-delà du droit, pour que
l'homme recouvre sa vraie liberté, sa dignité, sa qualité d'homme. La liberté,
attachée à la vérité, requiert l'élévation des consciences, et, d'abord, celle
de notre condition. elle suppose donc de se libérer de l'esprit technicien,
non en refusant la technique, mais en regardant au-delà.
L'ordre, lui aussi, ou le concept l'identifiant, est appauvri par la
technique. Il finit par signifier, chez les Modernes, non plus harmonie
sociale ou cosmique32, mais conformité de la volonté au droit, du droit à la
29. De la liberté juridiquement instrumentale, à la liberté instrumentalisée politiquement,
il n'y a qu'un pas.
30. Duc d'harcourt, Quelques réflexions sur les lois sociales, Paris, 1886 ; G. tarde, Les
lois de l'imitation, étude sociologique, 1890. Félix Alcan, 2e éd., 1895.
31. Cf. W. Benjamin, L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, 1935,
Allia, 2003.
32. « L'harmonie est la poésie de l'ordre », écrit h. de Balzac, Études de mœurs au
xixe siècle, Scènes de la vie parisienne, t. 3, Histoire des Treize, 2e épisode, Ne touchez pas
à la hache (rebaptisé La duchesse de Langeais à partir de 1840), 1834, p. 53.
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