Contextes - Penser la technique juridique - 51

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et même l'accélérer, changer l'homme, apporter le progrès par la loi, en
cassant la coutume si nécessaire56, aussi en s'opposant à la Nature s'il le
faut, sans que le christianisme cherche ou parvienne à la protéger contre
ces forces et fictions, ni à empêcher les victoires successives du droit positif
sur le droit naturel ou divin. Le processus propre de création/destruction
du droit positif s'accélère : les normes se multiplient, comme le cimetière
des normes ne cesse de grandir57. Car la puissance de faire la loi est aussi
celle de la briser58. La technique a ainsi un rôle ambivalent : alimentant
le processus de création/destruction des produits juridiques (en plus de
placer l'alternance politique, donc les changements du droit, sous la loi du
suffrage universel, qui enregistre les variations de l'opinion), elle génère
à la fois de l'insécurité juridique et de la sécurité juridique. La loi devient
un bien précaire, consommable, consumable, de qualité médiocre. Aussi
s'affaiblit-elle, ce déclin trouvant sa cause essentielle dans les sommations
de la technique, forçant à produire, production devenant un mode d'être
- « je produis donc j'existe ».
Alors, la machine étatique moderne s'emballe, la productivité normative
se présentant comme le signe et l'instrument de légitimation du pouvoir de
l'État. Le temps est loin où il fallait être économe en lois, et n'en changer
qu'en tremblant, en cas de nécessité évidente. Désormais, la machine publique
a ses nécessités - raison d'État, intérêt général -, justifiant et accompagnant
le changement par le droit. Cette machine est d'autant plus incontrôlable
que la technique peut, à la limite, pour réaliser son œuvre juridique, se
débarrasser de l'homme, du citoyen, du peuple, du concours de sa volonté
politique. Le souverain, devenant impersonnel, est en effet sous l'empire
d'une raison ou logique qui fait corps avec l'État. Celui-ci, personne morale,
fictive, dotée d'une volonté artificielle, finit par se confondre avec l'ordre
juridique, ce qui lui fait même perdre toute volonté. Attribut de l'homme
(St thomas, G. d'Occam), et même de la personne étatique (t. hobbes), la
constance des moyens ; rien n'est constant sinon la croissance de la courbe des performances
qui jette aujourd'hui à la ferraille l'instrument encore insurpassable hier. Il n'y a donc pas
non plus de constance de l'architecture, du mode de vie, de l'économie [...] » (Le Travailleur,
op. cit., p. 215).
56. Il y a chez J. Bodin une hésitation au sujet des rapports entre la loi et la coutume :
laquelle des deux l'emporte sur l'autre ? L'auteur ne parvient pas, nous semble-t-il, à mettre
fin à cette tension (Les six Livres de la République, Jacques Du Puys, 1576).
57. P. Amselek, « L'évolution générale de la technique juridique dans les sociétés occidentales », RDP, 1982, p. 275-294 (reproduit dans L'État propulsif. Contribution à l'étude des
instruments d'action de l'État, sous la direction de C.-A. Morand, Publisud, 1991, p. 283) :
il y a « accélération de l'histoire du droit. Le rythme de mise hors circuit et de remplacement
des instruments juridiques s'est amplifié considérablement ».
58. La démocratie a contracté ainsi une dette à l'égard de la technique, qui a en effet
conduit à créer un certain rythme de production et des réflexes de changements, propices
à son avènement et à son maintien.
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