Contextes - Penser la technique juridique - 88

Le DISCOurS teChNICIeN Du GALLICANISMe

ces autorités concurrence la puissance législative du monarque. Pour cette
raison, l'application des normes ecclésiastiques dans l'État est subordonnée
à une opération de réception10. L'approbation du souverain (exprimée sous
la forme d'un consentement exprès) et le contrôle préalable des cours servent
à vérifier préalablement que ces règles ne contiennent rien de contraire aux
libertés gallicanes, et aux prérogatives de la couronne. Ce dispositif encadrant l'application des règles ecclésiastiques dans l'État a été utilisé à de
trop nombreuses reprises pour que l'on puisse ici les restituer de manière
exhaustive. une foule de règles émanant de la chancellerie pontificale ou
de conciles tenus hors de France sont soumises à ce contrôle. L'application
en France de certains textes pontificaux ou conciliaires a ainsi été empêchée
parce qu'ils touchaient à des sujets politiquement sensibles. Le cas le plus
célèbre reste celui des décrets du concile de trente. À partir de 1563, date
de la clôture du concile, le pape, les légats pontificaux et certains prélats
français formulent plusieurs demandes au roi afin d'en recevoir les décrets
et de les appliquer comme des lois de l'État11. Le Parlement de Paris s'opposera sans relâche à l'introduction en France des décrets tridentins, jugés
contraires aux libertés gallicanes, aux prérogatives de la Couronne et aux
lois fondamentales de l'État. Le roi n'ayant jamais procédé à sa publication, les parlementaires refuseront toujours de reconnaître une quelconque
autorité au concile de trente en France12. La même rigueur s'applique aux
bulles pontificales. Certaines font l'objet d'un examen minutieux et sont
rejetées lorsque les cours (le Parlement de Paris en tête) considèrent
qu'elles contiennent des dispositions remettant en cause des prérogatives
10. Ce mécanisme de réception procède avant tout d'une pratique que l'on trouve justifiée
par le principe énoncé dans l'article 4, et formalisée à l'article 44 du même texte, composé
par le juriste Pierre Pithou en 1594. Simple recueil émanant d'un particulier, cet ensemble
de 83 articles sera par la suite considéré comme une œuvre codificatrice condensant l'essentiel des pratiques gallicanes. Les juristes lui portent encore un vif intérêt tout au long du
xixe siècle, comme en témoigne les rééditions commandées par André Dupin (dit Dupin
« aîné »), jusqu'à la 5e édition de son ouvrage intitulé Libertés de l'Église gallicane. Manuel
du droit public ecclésiastique français, Plon, 1860.
11. V. sur ce point l'ouvrage classique de V. Martin, Le gallicanisme et la Réforme
catholique, essai historique sur l'introduction en France des décrets du concile de Trente
(1563-1615), Picard, 1919 ; du même, Les négociations du nonce Silingardi évêque de
Modène, relatives à la publication du concile de Trente en France (1599-1601), Picard, 1919.
Pour une étude plus récente, A. tallon, La France et le concile de Trente (1518-1563),
rome, École française de rome, 1997. Au xviiie siècle : e. rassicod, Notes sur le concile de
Trente touchant les points les plus importants de la Discipline Ecclesiastique & le pouvoir des
Évêques, les Décisions des Saints Peres, des Conciles & des Papes, & les Résolutions des plus
habiles Avocats sur ces Matieres. Avec une dissertation sur la Reception et l'Autorité de ce
Concile en France, Bruxelles, Floppens, 1708 ; e. Mignot, Histoire de la réception du concile
de Trente dans les différens États Catholiques, Amsterdam, Arkstée & Merkus, 1756, 2 vol.
12. Au xixe siècle, Dupin (encore lui) l'affirme toujours, comme si rien n'avait changé
depuis 1563 (Libertés de l'Église gallicane..., ibid., p. 450).

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