Contextes - Penser la technique juridique - 90

Le DISCOurS teChNICIeN Du GALLICANISMe

est présenté comme un mécanisme régulateur des conflits de compétence
entre juridictions ecclésiastiques et séculières. Les deux puissances sont
placées sur un pied d'égalité et la réciprocité de l'appel est censée assurer
cette parité. Ce mécanisme donne lieu à un contentieux massif sous l'Ancien
régime. Au xixe siècle, le recours pour abus demeure un objet familier
dans la vie quotidienne des institutions, par les questions politiquement
sensibles qu'il agite. La plupart du temps, il représente l'épilogue contentieux ou quasi-contentieux des rapports de forces opposant les fidèles au
clergé, les autorités de l'État aux autorités ecclésiastiques, mais encore des
conflits opposant les curés à leur évêque, malicieusement mis en scène par
Maupassant dans une nouvelle intitulée Le Protecteur15.

B. Des mécanismes au service de la puissance de l'État
Fruit du génie des juristes français et sans cesse perfectionnées par la
pratique, ces techniques concourent à la défense des droits de la puissance
publique et à la sauvegarde d'une identité française. elles alimentent un
certain discours sur l'État.
tout d'abord, les mécanismes de réception du droit ecclésiastique ne
peuvent être compris si on ne les rattache à ce qui les fonde : la souveraineté
étatique. L'élaboration d'un dispositif technique assurant la réception des
normes ecclésiastiques traduit l'effort fourni par le gallicanisme contre
l'hégémonie pontificale, afin de préserver l'indépendance de la puissance
temporelle. Ce mouvement se matérialise juridiquement par une lutte
Les origines de l'appel comme d'abus, PuF, 1950 ; A. esmein, Cours élémentaire de droit
français, 15e éd., Paris, 1925, p. 636-638 ; v. aussi J.-L. Gazzaniga doute, L'Église du Midi
à la fin du règne de Charles VII (1444-1461) d'après la jurisprudence du Parlement de
Toulouse, thèse, toulouse, 1976 : « quand est apparu l'appel comme d'abus ? Sous quelles
formes ? une fois écartés quelques arrêts peu convaincants rapportés régulièrement par les
auteurs d'Ancien régime [Févret notamment], il faut arriver au milieu du xve siècle pour
trouver avec certitude un exemple de cette procédure. Plus précisément, c'est de l'application
de la Pragmatique Sanction qu'est né l'appel comme d'abus » (p. 238). Pour une autre interprétation, v. A. Lefebvre-teillard, qui estime qu'une ordonnance de 1510 sur les citations,
édictée par Louis XII, aurait donné lieu à des appels comme d'abus dès 1515 (A. Lefebvreteillard, Recherches sur les officialités à la veille du concile de Trente, LGDJ, 1973, p. 48).
15. Nouvelle d'abord publiée dans Gil Blas le 5 février 1884, avant d'être insérée dans
Toine (1885). La nouvelle, outre qu'elle semble implicitement évoquer l'usage du recours
pour abus, renvoie au problème des rapports entre les évêques et le bas clergé au xixe siècle.
Maupassant y représente ironiquement un certain Jean Marin, devenu conseiller d'État, qui
s'estime investi d'une mission : protéger et aider - grâce à l'influence acquise par sa position
sociale - tous ceux qui, selon lui, en ont besoin. Il offre son appui à l'abbé Ceinture, prêtre
en conflit avec son évêque et lui fait des lettres de recommandation auprès du conseiller
d'État en charge des cultes. Le lendemain, Marin découvre en lisant un journal anticlérical
qu'il a été dupé par le vieux prêtre : celui-ci avait été suspendu par son évêque pour avoir
comploté contre le gouvernement.

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