Contextes - Penser la technique juridique - 94

Le DISCOurS teChNICIeN Du GALLICANISMe

des pairs le 18 avril 184423. Celui qui dirigera pourtant le ministère de l'Intérieur et des Finances du pape Pie IX à partir du 15 septembre 1848 se livre
à un plaidoyer. Partant du postulat que « la question des libertés de l'Église
gallicane [...], qui intéresse essentiellement les pouvoirs de l'État [...] est
une question éminemment politique, une question de droit public »24, rossi
estime que ces libertés convergent toutes dans une même direction : « la
proclamation de l'indépendance de l'État, de l'autonomie de la nation
française »25. Le discours synthétise avec force l'essentiel des conceptions
gallicanes afférentes à la souveraineté de l'État, et rappelle inlassablement
que « l'État est indépendant, l'État est souverain, maître de lui-même ; il n'a
ici-bas ni juge, ni supérieur »26. Consubstantielle à la notion d'État, dont
elle constitue par ailleurs l'« essence »27, l'indépendance « est un principe
de droit public qui domine toute la législation d'un pays, que ce principe
soit ou non matériellement écrit dans une loi spéciale »28.
L'autre versant du gallicanisme est constitué de l'immense contentieux
de l'appel comme d'abus, qui concentre lui aussi tous les éléments d'une
défense de l'État en construction. Là encore, le propos technicien des
juristes gallicans participe d'un effort considérable mené pour réduire les
pouvoirs exercés par l'Église dans l'État, afin de la limiter à des fonctions
purement spirituelles. Le recours pour abus produit deux effets majeurs : il
est un procédé technique permettant l'appropriation par l'État de compétences antérieurement détenues par les juridictions ecclésiastiques ; il
suppose ensuite que l'État soit la seule instance titulaire du pouvoir de
définir le champ de ses compétences, et de celles exercées par l'Église dans
l'État29. une lecture rétrospective permet de prendre conscience que bien
23. Discours rapporté par A. Dupin, in Libertés de l'Église gallicane. Manuel du droit
public ecclésiastique français, op. cit., p. 442 et s. On se reportera utilement à la réédition de
l'œuvre majeure du publiciste italien, Cours de droit constitutionnel, Dalloz, 2012, 1040 p.,
accompagnée d'une préface de J. Boudon.
24. A. Dupin, ibid., p. 442, en italique dans le texte.
25. A. Dupin, ibid., p. 443. rossi ajoute : « lorsqu'on s'écrie : Arrière les libertés de l'Église
gallicane sans distinction ! on veut donc nous ramener à la théocratie, on veut donc faire de
la France une province de la papauté » (ibid., p. 443).
26. A. Dupin, ibid., p. 442.
27. « L'essence de l'État, c'est l'indépendance, c'est là un axiome. que l'État soit grand ou
petit, hérétique ou catholique, faible ou fort, peu importe : les faits peuvent varier ; le droit
est le même pour tous » (A. Dupin, ibid., p. 444).
28. A. Dupin, ibid., p. 444. Mais encore : « l'indépendance d'une nation est écrite dans son
histoire, dans ses institutions ; dans toutes ses lois ; elle est attestée par toute son organisation
sociale et politique » (A. Dupin, ibid., p. 444).
29. Vivien, encore lui, affirme que « pour que l'indépendance de l'État soit entière, il faut
qu'il exerce sans partage toutes les fonctions du gouvernement, qu'il soit appelé à déterminer seul les limites de son autorité, sans quoi elle pourrait sans cesse être contestée et
envahie, et enfin qu'il ait même en certains points autorité sur la discipline de l'Église, qu'il

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