Grands Colloques - Le fichier - 302

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Le FIChIer

fonctionnalités du procédé : 1) maintenir l'ordre et la sécurité, tâches de
l'État « gendarme » ; 2) administrer rationnellement la société dans l'intérêt
général, mission de l'État « providence » ; 3) rechercher l'efficacité en collectant toutes sortes d'informations, souci constant des administrations, mais
aussi des associations ou des entreprises qui poursuivent des intérêts particuliers légitimes. on se propose, dans les présentes conclusions, d'adopter
une approche matérielle, en mettant en rapport les informations contenues
dans les fichiers avec les personnes fichées. Trois catégories peuvent ainsi
être identifiées : l'ennemi - qu'il soit terroriste, agent d'une puissance étrangère - dont le fichage a vocation à prévenir la commission d'attentats ou de
préserver les intérêts fondamentaux du pays ; le (con)citoyen « dévoyé » -
qu'il soit délinquant ou criminel - que l'on va « ficher » afin de faciliter les
investigations et l'administration de la preuve des infractions commises ;
enfin, le citoyen « normal » - qu'il soit administré ou client d'une entreprise - pour qui l'établissement de fichiers facilite le service qu'il attend
(l'inscription sur une liste électorale ou sur celle de conducteurs prudents).
À partir de cette taxinomie, des règles spécifiques ont pu être imaginées,
spécialement en France en vertu de la loi Informatique et Libertés de 1978,
pour garantir au mieux les libertés. Le bilan de l'application de cette loi,
largement positif comme l'ont relevé nombre de participants au colloque,
ne doit pas dissimuler des inquiétudes pour l'avenir.
Une première ligne de fracture résulte de la confusion croissante, liée à la
prospérité du concept de dangerosité, entre le criminel et l'ennemi. en vertu
des principes du droit pénal forgés depuis la révolution, le condamné qui a
« payé » sa dette à la société doit rapidement cesser d'être regardé comme un
malfaiteur. or, de plus en plus, on considère le criminel comme un individu
dangereux en permanence au point de réinventer, à travers le fichage, une
forme nouvelle - invisible mais bien réelle - de marque au « fer rouge »25.
La remise en cause des frontières de la vie privée suscite une autre série
de difficultés. Des intrusions consenties de certains clients d'entreprises
- aux dépens d'autres - dans la sphère de l'intime (informations sur des
modes de consommations, sur la santé) aux données biométriques recueillies dans les corps des citoyens afin d'obtenir un outil fiable d'identification
des personnes en vue de garantir la sécurité de tous, les noms, les caractéristiques physiques et biologiques, les visages, les comportements, les
goûts, les déplacements sont scrutés et collectés : tout peut être rangé par
catégories, dans des cases, identifiables au moyen de mots-clefs ; tout peut
être quantifié de façon à proposer à chacun, en contrepartie de facilitations et de services supplémentaires, de renoncer à l'opacité légitime de ses
comportements tant dans l'espace public qu'à l'intérieur de son domicile.
25. V. supra Pellé s., « réflexions sur la nature et les fonctions du fichier en droit pénal ».
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