Grands Colloques - L'européanisation du droit - 43

MICHEL FARGE

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la loi nationale) pour choisir la loi applicable à sa succession83 et assure la
promotion des pactes successoraux84.
L'une des caractéristiques des différentes normes européennes réside
ainsi dans la possibilité accordée aux individus de s'approprier le droit de
la famille en choisissant, fréquemment par anticipation, non seulement
la loi applicable à un différend, mais encore parfois le juge chargé de le
résoudre85. Pour les personnes impliquées dans des relations transfrontières, cette expansion du rôle de la volonté crée un marché sur les étals
duquel sont placés les systèmes juridiques nationaux. Sans doute n'est-il
pas possible de choisir n'importe lequel de ces systèmes, mais, parmi ceux
accessibles (droit national/droit de la résidence habituelle), il faut augurer
que les intéressés choisiront fréquemment le plus permissif86.
36 - Sort de l'exception d'ordre public ? - Reste que les États disposent
traditionnellement, avec l'exception d'ordre public, d'un garde-fou leur
permettant de défendre leurs valeurs et politiques législatives en matière
familiale. Permettant d'évincer la loi étrangère compétente ou de s'opposer
à la reconnaissance d'une décision étrangère, ce garde-fou demeure dans
tous les règlements. Il continuera à faire obstacle aux systèmes étrangers
qui ne respectent pas les principes directeurs français, mais aussi européens,
du droit contemporain de la famille : liberté (de se marier ou de rompre le
mariage mais aussi de vivre hors mariage), égalité (des sexes, des époux,
des parents et encore, des enfants), solidarité minimale (au sein du couple
mais aussi entre générations).
Mais l'exception d'ordre public est-elle encore susceptible de défendre
les choix législatifs propres à chaque État membre ? La réponse est délicate
tant le correctif paraît affecté par l'européanisation du droit conflictuel.
Raisonnons à nouveau sur l'exemple des successions internationales avec
la figure largement exploitée de l'Anglais demeurant en France qui, par
le biais d'un testament, aurait choisi la loi anglaise lui permettant d'exhéréder ses enfants. Pourrait-on paralyser son choix en se fondant sur le
caractère d'ordre public de la réserve87 ? Tenir son choix pour lettre morte
ne conduirait-il pas à remettre en cause les objectifs de liberté, de sécurité

83. Règlement Successions, art. 22.
84. Règlement Successions, art. 25.
85. Règlement Aliments, art. 4.
86. Il y a là une illustration de la loi du libéralisme maximum dégagée par M. Fulchiron,
« Existe-t-il un modèle familial européen ? », Defrénois 2005, p. 1461 et s.
87. Sur ce débat, v. not. M. Grimaldi, « Brèves réflexions sur l'ordre public et la réserve
héréditaire », Defrénois 2013, p. 755 ; H. Fulchiron, « Réserve et ordre public : protection
nécessaire ou protection du nécessaire ? », Dr. et patrimoine, n° 246, avril 2015, p. 59 et s. ;
E. Fongaro, « Le règlement "successions" et l'ordre public international », Dr. et patrimoine,
n° 236, p. 61 et s.
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