Grands Colloques - L'européanisation du droit - 45

MICHEL FARGE

39

37 - Reconnaissance des situations. - Cette dernière perspective est
confortée par une jurisprudence européenne qui a été largement remarquée
parce qu'elle remet en cause les raisonnements classiques du droit international privé92. Dans trois arrêts relatifs au nom de famille93, la Cour de
justice affirme en substance qu'un État membre ne peut priver un citoyen
européen des droits qui lui ont été accordés dans un autre État membre.
Plus précisément, le refus de reconnaître une situation personnelle ou
familiale constituée dans un État membre est potentiellement une entrave
à la liberté de circulation garantie à tout citoyen européen par le traité UE
(art. 21). Certes il ne s'agissait dans ces affaires que de permettre à un
citoyen européen de disposer d'un nom de famille identique dans l'espace
juridique européen. Il n'en demeure pas moins que la méthode employée
et ses justifications sont susceptibles de généralisation, au-delà du nom,
à l'ensemble des institutions familiales, y compris à celles divisant les
législateurs européens. Ainsi des homosexuels italiens s'étant valablement
mariés en France où ils résidaient ne pourraient-ils pas exiger que leur statut
d'époux soit reconnu par les autorités italiennes ? L'« alliage monstrueux »94
consistant à tenir des personnes comme mariées dans un État membre et
célibataires dans un autre est-il concevable dans un espace de liberté, de
sécurité et de justice ? Dans le même ordre d'idées, le principe de libre
circulation pourrait-il se concilier avec le refus de reconnaître en France la

obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud ; Rev. crit. DIP 2015. 144 ; M. Farge, « La
filiation des enfants issus d'une GPA à l'étranger : la CEDH se livre à un bon diagnostic des
incohérences du droit français, mais prescrit un remède discutable ! », RDLF 2014, chron.
n° 21. Adde CEDH, 27 janv. 2015, Paradiso et Campanelli c/ Italie, n° 25358/12, D. 2015.
702, obs. F. Granet-Lambrecht ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam.
2015. 165, obs. E. Viganotti ; ibid. 77, obs. A. Dionisi-Peyrusse.
92. Au profit d'un raisonnement évoquant la méthode de la reconnaissance des situations
constituées à l'étranger - sur laquelle méthode, P. Lagarde (dir), La reconnaissance des
situations en droit international privé, Paris, Pedone, 2013 et, en rapport avec notre propos :
H. Fulchiron, « La reconnaissance au service de la libre circulation des personnes et de
leur statut familial dans l'espace européen », Mélanges B. Audit, LexisNexis, 2014, p. 783.
93. CJCE, 2 oct. 2003, Garcia Avello, aff. C-148/02, JurisData n° 2003-400027 ; Rec.
CJCE 2003, I, p. 11613 ; D. 2004, p. 1476, note M. Audit ; Rev. crit. DIP 2004, p. 192, note
P. Lagarde ; JDI 2004, p. 1225, note S. Poillot-Peruzzetto - CJCE, 14 oct. 2008, Grunkin
et Paul, aff. C-353/06, Rec. CJCE, p. I-07639 ; JCP 2009, 10071, note Devers ; Dr. fam.
2009, comm. 50, note Viangalli ; AJ fam. 2008. 481, obs. Boiché ; JDI 2009. 7, note d'Avout ;
Europe 2008, comm. 397, note Kauff-Gazin ; Europe 2008, comm. 431, obs. Idot ; AJDA
2008. 2327, obs. Broussy, Donnat et Lambert ; D. 2009. 845, note Boulanger ; Rev. crit. DIP
2009. 80, note Lagarde - CJUE, 22 décembre 2010, Sayn-Wittgenstein, aff. C-2008/09,
RTDE, 2011, p. 571, note E. Pataut.
94. Selon la célèbre formule de l'arrêt Busquetan : CA Paris, 13 juin 1814, GAJFDIP, n° 1.
Grands Colloques - L'européanisation du droit

Table des matières de la publication Grands Colloques - L'européanisation du droit
