Grands Colloques - L'européanisation du droit - 85

JEAN SIRINELLI

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celle-ci justifiait traditionnellement qu'il soit impossible pour un requérant
d'obtenir l'engagement de la responsabilité de l'État du fait du contenu
même de la décision juridictionnelle devenue définitive43. De ce point de
vue, l'arrêt Gestas, en dépit de son caractère exceptionnel et d'une mise
en œuvre qui ne peut être que rarissime44, constitue, au moins d'un point
de vue symbolique, un révélateur de l'originalité profonde du processus
d'européanisation du droit administratif. De façon paradoxale, ce processus
original conduit à une banalisation relative du droit administratif : l'affaiblissement de l'autorité de la chose jugée et l'admission d'une responsabilité
de l'État du fait du contenu d'un acte juridictionnel tendent à rapprocher
le droit administratif des solutions dégagées par le juge judiciaire. De
façon plus discutable, ce processus conduit aussi au risque d'un traitement
discriminatoire entre justiciables, l'apport de la jurisprudence Gestas étant
réservé aux requérants placés dans le champ du droit de l'Union.

2. Le refus original de la responsabilité de l'État
du fait du droit européen
La spécificité des sources du droit de l'Union peut, en sens inverse,
parfois justifier que le juge se refuse à engager la responsabilité de l'Administration. Deux solutions jurisprudentielles peuvent illustrer cette idée. En
amont, le droit de l'Union peut justifier que soit exclue de façon générale
la responsabilité administrative, le juge considérant que le dommage dont
la réparation est demandée ne peut être imputé à la personne publique. En
aval, le droit de l'Union peut être pris en compte par le juge pour conclure
à l'absence de faute de l'Administration et à son absence de responsabilité.
En premier lieu, le Conseil d'État considère que les actes par lesquels
les autorités nationales se bornent, sans disposer d'aucun pouvoir d'appréciation, à assurer la mise en œuvre du droit de l'Union ne peuvent engager
la responsabilité de l'État45. L'hypothèse d'une compétence liée par les
sources européennes demeurera rare. Par exemple, lorsque le droit de
l'Union prévoit une option juridique que les autorités nationales sont
libres ou non d'utiliser, le juge considère que le choix de celles-ci traduit
l'exercice d'un pouvoir d'appréciation46 ; ce choix peut donc engager la
responsabilité de la personne publique en cause. Cependant, cette compétence liée ne saurait être exclue dans l'hypothèse de règles européennes
43. CE, Ass., 29 décembre 1978, Darmont, Leb. p. 542.
44. Le Conseil d'État a eu l'occasion de rappeler les termes de la jurisprudence mais
sans l'appliquer positivement : CE, 19 octobre 2011, M. A., n° 343556 ; CE, 27 mars 2013,
Société Phytoservice, n° 351528.
45. CE, sect., 12 mai 2004, Société Gillot, n° 236834.
46. CE, 27 juillet 2005, Agence française de transferts viticoles, n° 264969.
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