Grands Colloques - L'européanisation du droit - 93

JEAN SIRINELLI

la délégation de service public73 témoigne de l'européanisation, même
encore incomplète74, des catégories traditionnelles et structurantes du droit
français. L'article 5 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative
aux contrats de concession parachève cette évolution.
Plus généralement, l'ordonnance refonde le droit des contrats administratifs autour de la distinction entre marché et concession qui structure
le droit européen. D'autre part, le droit de l'Union provoque un
phénomène de rationalisation du droit administratif. Celui-ci, caractérisé
par la profusion des différents types de contrat administratif, connaît
un mouvement d'homogénéisation sous l'effet de l'européanisation. Par
exemple, les concessions d'aménagement apparaissaient traditionnellement,
en raison de leurs spécificités juridiques, comme des contrats sui generis75 ;
leur soumission au droit de l'Union et la nécessité de les qualifier par
référence à ses catégories ont conduit à leur rapprochement avec d'autres
types de contrat et à leur banalisation relative. Plus largement, l'ordonnance
du 29 janvier 2016 est aussi l'occasion d'une homogénéisation et, partant,
d'une simplification du droit des contrats administratifs. Elle alimente en
effet un mouvement d'unification des règles relatives aux concessions, par la
suppression de régimes spéciaux, et de convergence de celles-ci par rapport
au droit des marchés publics76.
Enfin, et de manière plus essentielle, le droit de l'Union peut sans doute
porter en lui les germes d'une redéfinition de la catégorie du contrat
administratif77. D'une part, les règles européennes s'appliquent à certains
contrats conclus par des personnes privées, les entités adjudicatrices.
D'autre part, le droit de l'Union tend à banaliser son régime juridique
en lissant les prérogatives de la personne publique cocontractante. La
conjonction de ces deux mouvements tend donc à faire perdre au contrat
administratif une partie de sa spécificité. Le basculement d'un droit des
contrats administratifs à un droit de la commande publique, alimenté par
l'européanisation, peut traduire le poids croissant des règles de passation
dans le régime de ces contrats et l'affaiblissement parallèle du pouvoir de
modification unilatérale du contrat. Or, et quelle que soit la réalité concrète
des prérogatives de la personne publique cocontractante, leur existence
juridique contribue pourtant à la singularité de la catégorie du contrat
73. CE, 7 novembre 2008, Département de la Vendée, n° 291794.
74. Voir, par exemple, le cas des marchés publics dans lesquels le cocontractant est
rémunéré grâce aux recettes publicitaires tirées de son activité : CE, Ass., 4 novembre 2005,
Société Jean-Claude Decaux, n° 247298.
75. CE, 29 mai 2000, SCP d'architectes Legleye, n° 204239.
76. F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « Contrats de concession : la nouvelle donne »,
Marchés publics n° 3, mars 2016, repère 3.
77. Voir, notamment, M. Amilhat, La notion de contrat administratif : l'influence du
droit de l'Union européenne, Bruylant, 2014.

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