Grands Colloques - L'avenir du droit des biens - 159

FRÉDÉRIC BICHERON

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l'argent a fortement tendance à dormir : il ne participe plus vraiment à
l'économie réelle et n'est plus injecté dans les circuits productifs ; le plus
souvent, il se trouve placé dans des produits financiers, et non dans l'économie active.
Les richesses familiales s'en trouvent largement thésaurisées. Et cette
épargne se trouve entretenue par le fait que l'allongement de la durée de la
vie a pour conséquence que les successions des parents échoient souvent
à de jeunes retraités : on hérite non plus à 30 ou 40 ans, mais plus généralement à 55 ou 60 ans, de sorte que l'héritage provenant d'une succession
arrive bien souvent à un moment où l'héritier s'apprête à cesser son
activité7. Aussi maintes richesses se trouvent-elles bloquées de générations en générations, frappées d'une cause naturelle d'immobilisation qui
entrave leur libre circulation.
Ce premier constat explique pourquoi le législateur favorise aujourd'hui
largement la transmission par anticipation des richesses aux plus jeunes, à
ceux qui consommeront et investiront. C'est à quoi répondent la donationpartage tout comme la donation-partage transgénérationnelle, instituée
par la loi du 23 juin 2006, qui permet aux grands-parents de sauter une
génération, et d'allotir directement les petits-enfants8.
D'autre part, l'allongement de la durée de la vie touche aujourd'hui le
conjoint survivant, qui exerce souvent un usufruit viager sur l'ensemble
des biens de la succession, lesquels se trouveront figés jusqu'à son décès.
Or, cette période d'usufruit, qui jadis ne durait pas bien longtemps, tend à
s'étirer dans le temps précisément en raison de l'allongement de la durée de
la vie. Et c'est ici tout le problème de l'usufruit envisagé comme une sorte
de maintenance qui se trouve posé : nécessaire pour assurer le maintien
efficace d'un niveau de vie et d'environnement pour le conjoint survivant, il
implique inévitablement une perte de la dynamique économique des biens,
un gel des patrimoines familiaux, sur de très nombreuses années, parfois9.
Ce qui explique que le législateur ait prévu une faculté de conversion de
l'usufruit en rente viagère qui peut être imposée par le juge10.
En creux, il y a là un choix de société : protéger l'être ou favoriser l'avoir.
Si l'allongement de la durée de la vie humaine affecte la libre circulation
des richesses, la transformation de la vie conjugale altère le régime juridique
de certains biens.

7. Il devient alors un complément de retraite et non une source d'investissement.
8. C. civ., art. 1078-4 et s.
9. Les inconvénients de l'usufruit ont été stigmatisés par le doyen Carbonnier décrivant
l'usufruitier comme « avide à consommer, rétif à investir ».
10. C. civ., art. 759 et s.

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