Grands Colloques - L'avenir du droit des biens - 46

QUEL AVENIR POUR LE PATRIMOINE ?

La première a trait à la situation de l'entrepreneur. En principe, la
séparation des patrimoines affecté et non affecté est pour le moins
énergique : la déclaration de constitution d'un EIRL n'est pas seulement
opposable de plein droit aux créanciers dont les droits sont nés postérieurement à son dépôt ; elle l'est également à tous ceux dont les droits
sont nés antérieurement à son dépôt à la condition que l'entrepreneur
individuel à responsabilité limitée le mentionne dans la déclaration d'affectation et en informe les créanciers35. Reste qu'une telle séparation n'est
jamais pleinement hermétique. Les créanciers privés peuvent ainsi parfois
poursuivre le paiement sur une partie des biens affectés. Si « l'entrepreneur
individuel à responsabilité limitée détermine les revenus qu'il verse dans
son patrimoine non affecté » (C. com., art. L 526-18), l'article L. 526-12 in
fine prévoit en effet une limite tendant à éviter que l'entrepreneur ne gonfle
artificiellement les liquidités de son entreprise à seule fin de frustrer ses
créanciers privés : en cas d'insuffisance du patrimoine non affecté, le droit
de gage général de ces créanciers peut s'exercer sur le bénéfice réalisé lors du
dernier exercice clos. Réciproquement, les créanciers professionnels peuvent
parfois solliciter une réunion des patrimoines36. C'est l'article L. 526-12,
alinéa 7, dont il suit que « l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée
est responsable sur la totalité de ses biens et droits en cas de fraude ou en
cas de manquement grave aux règles prévues au deuxième alinéa de l'article
L. 526-6 ou aux obligations prévues à l'article L. 526-13 », c'est-à-dire aux
règles relatives à la composition du patrimoine affecté ou aux obligations
bancaires et comptables de l'EIRL.
La seconde raison tient à la situation des tiers. Contrairement aux textes
sur la déclaration d'insaisissabilité, aucune disposition ne permet expressément à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée de renoncer au
cloisonnement de ses patrimoines en faveur d'un ou de plusieurs créanciers
professionnels. Le statut de l'EIRL est néanmoins supplétif de volonté.
Pourquoi dès lors un entrepreneur qui pouvait choisir d'exposer l'ensemble
de ses biens à l'ensemble de ses créanciers ne pourrait-il offrir tous ceux-là
en gage à certains de ceux-ci ? Qui peut le plus peut le moins37. Dans ces
conditions, la protection offerte à l'EIRL n'est-elle pas tout aussi illusoire
que celle procurée par une déclaration d'insaisissabilité ? L'entrepreneur
35. Tout au plus est-il prévu dans cette dernière hypothèse que les créanciers concernés peuvent former opposition à ce que la déclaration leur soit opposable (C. com.,
art. L. 526-12).
36. B. Saintourens, « EIRL : le risque de réunion des patrimoines », Rev. proc. coll. 2011,
dossier 30. Pour la neutralisation du statut de l'EIRL en cas de procédures collectives,
V. F. Pérochon et Fl. Reille, « La neutralisation du statut de l'EIRL », Cah. dr. entr. 2011,
dossier 19.
37. V. égal. en ce sens, E. Cevaër et P.-E. Perroty, « L'EIRL et les sûretés négatives. Un
vin nouveau pour de vieilles outres », JCP E 2011, 1443, spéc. no 36 et s.

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