Grands Colloques - L'avenir du droit des biens - 71

PHILIPPE CHAUVIRÉ

comme le propriétaire de la chose, le premier n'étant que « propriétaire de
son droit de seigneurie ». Puis, Pothier pose une définition de la propriété
s'inspirant de la conception romaine : « Le domaine de propriété est ainsi
appelé parce que c'est le droit par lequel une chose m'est propre, et m'appartient privativement à tous autres »7.
Cette rapide description de la situation antérieure à l'adoption du code de
1804 fait apparaître un certain nombre de griefs qui peuvent être formulés
contre cette propriété relative. Outre le fait qu'elle paraît rétive à toute
analyse théorique, la maîtrise divisée est une source d'immobilisme qui
paralyse la circulation des biens. Elle rend difficile une exploitation performante des biens et n'est plus adaptée à une société qui s'apprête à devenir
moins rurale et plus industrielle. Elle assoit de surcroît une structure féodale,
sur le point d'être renversée. Et c'est ainsi qu'à la suite de la Révolution,
les rédacteurs du Code Napoléon se sont efforcés de faire table rase du
régime féodal de la propriété. De l'aveu même de Portalis, « lors de l'étrange
révolution qui fut opérée par l'établissement du régime féodal, toutes les
idées sur le droit de propriété furent dénaturées, et toutes les véritables
maximes furent obscurcies »8. L'article 544, qui décrit la propriété comme
le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, est
en rupture totale avec l'Ancien droit et ouvre une nouvelle ère, celle de la
maîtrise souveraine du propriétaire sur ses biens.
De cette rapide présentation du virage adopté lors de la Révolution
française et confirmé en 1804, on peut tirer deux enseignements :
- Le premier est que la propriété individuelle, celle qui constitue le présent
de la propriété, a été consacrée dans le but de faire obstacle au retour de
toute forme d'asservissement. On comprend qu'étant conçue comme le
prolongement de la liberté individuelle, elle ait été érigée en modèle9.
Elle constitue ainsi la relation fondamentale entre les personnes et
les choses, protégée par les règles de l'ordre public des biens. Rien
d'étonnant, donc, à ce qu'elle soit la clé de voûte de notre droit des biens.
- Le deuxième enseignement est que la propriété n'est pas un concept dont
le sens est immuable10. Au contraire, ce tournant révolutionnaire illustre
le fait que la propriété est une notion dont le contenu n'est pas figé,
tant s'en faut. Il est difficile de considérer que l'histoire de la propriété
moderne commence et s'achève en 1804 avec le triomphe de la figure du
7. Op. cit., p. 2.
8. P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. XI, 1827,
p. 120.
9. J.-M. Mousseron, J. Raynard, Th. Revet, « De la propriété comme modèle »,
Mélanges offert à André Colomer, Litec, 1993, p. 281.
10. Pour présentation approfondie des différents sens du concept de propriété, v.
M. Xifaras, La propriété, étude de philosophie du droit, PUF, 2004.

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