Grands Colloques - L'avenir du droit des biens - 82

QUEL AVENIR POUR LA PROPRIÉTÉ ?

des droits réels s'imposait jusqu'alors en raison du caractère fondamental
de la propriété. Cette remise en cause est une violente entorse au caractère
absolu de la mainmise du propriétaire sur son bien, à peine adoucie par
l'attendu sibyllin de l'arrêt du 28 janvier 201548. Il faut bien en comprendre
le sens, pour apprécier la voie dans laquelle la Cour de cassation semble
s'être engagée. Le caractère temporaire des droits réels sur la chose d'autrui
permet, de manière cyclique, d'apurer la relation entre le propriétaire et
son bien de toutes prérogatives attribuées à des tiers. Elle conduit donc à
rétablir, à intervalle régulier, la souveraineté du maître de la chose. Cette
limitation dans le temps constitue une garantie fondamentale de l'exclusivité
du rapport d'appropriation. La remettre en cause conduit inévitablement à
accepter un morcellement progressif et une dispersion des utilités offertes
par les biens et condamner la propriété, telle qu'elle a été conçue par les
rédacteurs du code. Il ne faudrait pas croire que l'accroissement du pouvoir
de la volonté qui paraît résulter de ces deux décisions procède d'un souffle
libéral, satisfaisant pleinement les nécessités du commerce juridique. Bien
au contraire, l'éclatement des prérogatives sur les biens risque d'entraver
la libre circulation des biens.
Deux fissures fragilisent donc l'édifice bicentenaire de l'article 544 du
Code civil et rendent l'avenir d'une propriété individuelle, perpétuelle,
absolue et exclusive bien indécis :
- l'unité de la notion de propriété est contestée par l'introduction de la
fiducie ;
- et la suprématie de la propriété, relation de principe entre les personnes
et leurs biens, est remise en cause par la reconnaissance de droits réels
sur la chose d'autrui perpétuels.
Rien ne permet d'affirmer que ces brèches vont s'aggraver, mais ces
évolutions doivent naturellement être suivies avec attention, tout particulièrement si une réforme du droit des biens était envisagée.

« Les habits neufs de la perpétuité ; Note sous Cour de cassation, troisième chambre civile,
31 octobre 2012 », RDC 2013, p. 588.
48. Rendu aux visas des articles 544, 619, 625 et 1134 du Code civil, l'arrêt du 28 janv.
2015 (pourvoi no 14-10.013, P+B+R+I) affirme que « lorsque le propriétaire consent un
droit réel, conférant le bénéfice d'une jouissance spéciale de son bien, ce droit, s'il n'est
pas limité dans le temps par la volonté des parties, ne peut être perpétuel et s'éteint dans
les conditions prévues par les articles 619 et 625 du Code civil ». Tout laisse donc penser
que la durée des droits réels sur la chose d'autrui est nécessairement limitée. Soit la limitation est volontaire, soit elle résulte de l'application des dispositions relatives à la durée de
l'usufruit. La perpétuité semble donc être dorénavant condamnée, à moins que la Cour de
cassation ne considère malgré tout comme valable la stipulation d'un droit de jouissance
spéciale pour la durée de vie de la personne morale bénéficiaire (Th. Revet, « Le droit réel
dit «de jouissance spéciale » et le temps », JCP G 2015, 252, p. 420).

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