Contextes - Le formalisme - 151

LE FORMALISME DE TRANSCRIPTION

141

L'affirmation d'un transfert consensuel de la propriété fait alors l'objet
d'une critique importante. Berdez notamment, estime que l'erreur commise
en la matière par les rédacteurs du Code civil de 1804, est imputable aux
errements de l'École du droit naturel moderne. Malgré son imperfection,
la réforme de 1855 devrait conduire, selon lui, à une remise en cause totale
des dispositions spiritualistes du Code civil52. Le juriste suisse qui conditionne le transfert de la propriété à sa publicité, est toutefois favorable à
une limitation du formalisme à sa plus stricte nécessité53.
Ces quelques juristes annoncent le triomphe de la conception par essence
exclusive de la propriété dans la doctrine du xxe siècle. D'abord portée
par les partisans de la théorie moderne de la propriété54, cette conception
exclusiviste est aujourd'hui défendue par la majorité des civilistes français55. Les justifications à la reconnaissance d'un caractère essentiellement
exclusif de la propriété sont nombreuses. Selon Jean Carbonnier, le terme
de « propriété » induirait nécessairement par son étymologie l'idée d'exclusivité56. Pour les partisans de la théorie moderne de la propriété, l'exclusivité
- qui se traduit par le pouvoir d'exclure -, conditionnerait l'existence de
52. « Au commencement de ce siècle toute une école s'est opposée à la publicité au nom
de la liberté individuelle ; l'école spiritualiste a applaudi à la théorie du code civil, comme
à une glorieuse conquête de la philosophie et du droit naturel ; la propriété se transmet par
la simple volonté des parties, sans aucun acte extérieur. (...) C'est là une des plus tristes
aberrations auxquelles soit parvenu le droit naturel. (...) Quoique l'article 1138 ne soit point
encore abrogé, la loi de 1855 lui a porté un coup fatal et elle ne tardera pas, nous croyons, à
disparaître du Code Napoléon. Cette doctrine méconnaît la distinction naturelle qui existe
entre le droit personnel et le droit réel, elle confond le jus in re, droit de suite, avec le jus
ad rem, droit personnel portant sur une chose ; elle confond les notions de créancier (droit
relatif, personnel) et de propriétaire (droit absolu, réel) » (Berdez L., De la publicité du
droit réel. Étude sur la transmission du droit réel sur les immeubles, op. cit., p. 69).
53. « La meilleure théorie sera celle qui constituera le droit réel avec la publicité la plus
éclatante, tout en évitant un formalisme qui pourrait entraver le commerce. Ce sera là
le critère que nous appliquerons aux différents systèmes qui ont cherché à résoudre le
problème de la publicité du droit réel » (Berdez L., De la publicité du droit réel. Étude sur
la transmission du droit réel sur les immeubles, op. cit., p. 70).
54. L'analyse moderne de la propriété est engagée à la charnière des xixe et xxe siècles par
Marcel Planiol. lorsqu'il définit cette notion comme une « obligation passive universelle ».
Elle est reprise par des auteurs non moins fameux tels Georges Ripert, ou encore René
Demogue ; en 1960, Shalev Ginossar donne une nouvelle dimension à la théorie moderne
en affirmant que la nature de la propriété est distincte de celle des droits réels ; à partir des
années 1980, Frédéric Zénati opère la synthèse des idées de Planiol et de Shalev Ginossar,
en se fondant notamment sur une reconstruction de la propriété romaine ; sur la théorie
moderne de la propriété et sa critique, voir notamment : Gijsbers C., « Évolution contemporaine du droit de propriété en France », loc. cit., p. 145-152 ; Dross W., Les choses, 2012,
Paris, LGDJ, p. 893 et s.
55. Christian Larroumet est un des rares auteurs du xxie siècle à douter du caractère par
essence exclusif de la propriété : Larroumet C., Droit civil, t. II, Les biens. Droits réels
principaux, 2006, Paris, Economica, p. 104 et s.
56. Carbonnier J., Droit civil, t. II, Les biens. Les obligations, 2004, Paris, PUF, p. 1641.

Contextes - Le formalisme

Table des matières de la publication Contextes - Le formalisme