Contextes - Le formalisme - 152

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LES CONTRATS

la faculté de jouir et de profiter des utilités de la chose. Le pouvoir de
jouissance ne serait qu'une conséquence factuelle du pouvoir d'exclure qui
constitue à lui seul le droit de propriété57.
Cette reconnaissance du caractère par essence exclusive de la propriété
conduit de nombreux auteurs à soutenir l'idée selon laquelle la vente non
publiée ne transfère pas la propriété58. Conditionnant l'opposabilité erga
omnes du droit de l'acheteur et par conséquent l'exclusivité de la propriété,
la publication de la vente sur un registre public est identifiée à l'acte de
transfert de la propriété immobilière. Le droit transféré par l'échange
des consentements et qualifié de « propriété relative » par une partie de
la doctrine, ne serait ainsi qu'un droit personnel59. La publicité foncière
instaure donc - en dépit de l'intention contraire du législateur -, un formalisme solennel nécessaire au transfert de la propriété immobilière dans le
cadre du contrat de vente.
Plusieurs critiques peuvent être soulevées à l'égard de cette analyse. Il est
tout d'abord contestable d'affirmer qu'un concept juridique défini par la
loi puisse avoir une essence dépassant le droit positif, notamment lorsque
cette essence est fondée sur l'histoire du concept en question60. Il est ensuite
inexact d'affirmer que le droit transféré par la vente à l'acheteur n'est opposable qu'au vendeur et qu'il s'agirait dès lors d'un droit personnel. L'article 3
de la loi de 1855 précise que seuls certains tiers - ceux qui sont titulaires
d'un droit sur l'immeuble ayant fait l'objet d'une transcription -, peuvent
invoquer l'inopposabilité de la vente non transcrite. L'acheteur dispose
effectivement d'un pouvoir d'exclure dès la conclusion du contrat, bien
qu'il ne puisse pas exercer cette faculté contre tous61. Antérieurement à la
57. Zénati F., Essai sur la nature juridique de la propriété : contribution à la théorie du
droit subjectif, thèse droit dactyl., 1981, Lyon 3, p. 580 ; Danos F., Propriété, possession et
opposabilité, op. cit., p. 143 et s.
58. Flour J., « Quelques remarques sur l'évolution du formalisme », in Le droit privé
français au milieu du xxe siècle. Études offertes à Georges Ripert, t. I, Études générales. Droit
de la famille, 1963, Paris, LGDJ, p. 102 ; Ginossar S., Liberté contractuelle et respect des
droits des tiers. Émergence du délit civil de fraude, 1963, Paris, LGDJ, p. 37 ; Atias C., Le
transfert conventionnel de la propriété immobilière, t. I, thèse droit dactyl., 1974, Poitiers,
p. 161-162 ; Blanluet G., « Le moment du transfert de propriété », in Le code civil : 18042004 : un passé, un présent, un avenir, Lequette Y. et Leveneur L. (dir.), 2004, Paris,
Dalloz, p. 421-422 ; Danos F., Propriété, possession et opposabilité, op. cit., p. 379 ; une thèse
récente est en partie consacrée à l'incohérence d'un système dans lequel la vente consensuelle transfère une propriété inopposable aux tiers : Goût É., Le mythe des conventions
constitutives et translatives de droits réels, thèse dactyl. droit, 2015, Paris 1, p. 125-207.
59. Dereux G., « L'évolution actuelle de la notion de livre foncier », RTDciv, 1925, p. 291.
60. Sur ce point voir notamment : Troper M., Le droit et la nécessité, 2011, Paris, PUF,
coll. Léviathan, p. 255-268.
61. Cette limite au caractère translatif de la transcription est déjà soulevée au début du
xxe siècle : « Il faut noter tous ces détails, pour saisir combien la portée de la transcription
est restreinte. C'est une erreur que d'enseigner, comme fait Laurent, que la vente non
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