Systèmes Perspectives - Achat public et économie des territoires - 1re - 62

Achat public et économie des territoires

II.

Les conditions dissuasives

Sans imposer directement une condition d'implantation, les acheteurs
publics peuvent adopter ce que la jurisprudence désigne couramment
comme des « mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins
attrayant l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité ».
A priori suspectes ces mesures peuvent, cependant, être justifiées par
l'intérêt général.

Ainsi, une condition linguistique du type de la « clause Molière », ci-dessus
mentionnée, peut être valide si elle est justifiée par un objectif d'intérêt
général tels la sécurité des chantiers ou le respect de la législation8.
A également été admise la validité de conditions relatives aux salaires.
Le marché unique ne s'étend pas au marché du travail, des disparités
considérables de salaires existent en Europe, ce qui permet aux
entreprises d'autres États membres de faire des offres très compétitives
sans être anormalement basses. Imposer le respect des règles nationales
sur le salaire minimum est un moyen de rendre moins attrayants les
marchés pour les entreprises des autres États membres.
Dans un premier temps la jurisprudence a paru hostile à ce type de
mesure. Un arrêt du 3 avril 2008, Rüffert (aff. C‑346/06), décide, en effet,
que la directive 96/71 sur le détachement des travailleurs s'oppose à une
mesure à caractère législatif prescrivant au pouvoir adjudicateur de ne
désigner comme adjudicataires de marchés publics de travaux que les
entreprises qui, lors de la soumission, s'engagent par écrit à verser à leurs
salariés, en contrepartie de l'exécution des prestations concernées, au
minimum la rémunération prévue dans la convention collective applicable
au lieu d'exécution de celles-ci. Mais il s'est avéré par la suite que cette
solution est spécifique et que l'obligation de verser un salaire minimum
peut être imposée, car elle a un but d'intérêt général, la protection des
travailleurs. C'est ce qui résulte de l'arrêt RegioPost du 17 novembre 2015
(aff. C-115/14).
Dans l'arrêt Rüffert était en cause une convention collective qui ne
s'appliquait qu'au secteur de la construction, qui ne couvrait pas les
marchés privés et qui n'avait pas été déclarée d'intérêt général. Pour ces
raisons la Cour a considéré que la mesure ne pouvait être justifiée par
l'objectif de protection des travailleurs. Il en va différemment dans l'affaire
RegioPost où une disposition législative impérative et générale oblige les
8. En ce sens, voir un arrêt qui ne concerne pas un marché public, mais est transposable :
CJUE, 1er octobre 2015, aff. C-341/14, Harmsen (est justifiée une mesure qui subordonne
l'octroi d'une autorisation en vue de l'exercice d'une activité consistant à exploiter des
maisons de prostitution en vitrine à la condition que le prestataire de ces services soit en
mesure de communiquer dans une langue comprise par les bénéficiaires desdits services,
en l'occurrence des prostituées, dès lors que cette condition est propre à garantir la
réalisation de l'objectif d'intérêt général poursuivi, à savoir la prévention des infractions
pénales liées à la prostitution).

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