Grands Colloques - L'accès au juge et l'intérêt à agir - 103

L'INTÉRÊT À AGIR DEVANT LA CoUR EURoPÉENNE

12 mai 2014, la Cour pour la première fois de son histoire, condamnait
la Turquie à payer une indemnité d'un montant de 90 millions d'euros à
Chypre au titre de la satisfaction équitable ; à charge pour ce dernier de
distribuer cette somme aux victimes sous la supervision du Comité des
ministres. Au-delà de l'important message politique adressé aux États,
certains y voient à terme le ferment d'une résurrection de la procédure
interétatique. Lisons Sébastien Platon à cet égard : « L'arrêt Chypre
c/ Turquie (satisfaction équitable) pourrait bien être un tournant dans la
pratique des requêtes interétatiques. Peu nombreuses jusqu'à présent, leur
nombre pourrait croître sous la pression d'associations de victimes qui
verraient dans ce type de requêtes le moyen d'obtenir, en un arrêt, une
indemnisation globale pour l'ensemble des victimes. Dès lors qu'un État
partie (n'importe lequel !) accepterait de porter la requête en leur nom, les
victimes se verraient ainsi offrir une sorte de "class action" devant la Cour
de Strasbourg. La Cour y gagnerait, elle aussi, son prétoire pouvant s'en
trouver notablement désengorgé (un recours pour des milliers de victimes !).
(...) Petit à petit semble donc émerger dans la pratique et dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ce que l'on pourrait
qualifier de "régime contentieux des violations de masse" : les arrêts pilotes
permettent de réparer des dysfonctionnements structurels cependant que les
requêtes interétatiques en satisfaction équitable permettent d'indemniser des
violations massives, avec en outre un fort aspect dissuasif eu égard à l'importance des montants en jeu. Les deux pouvant d'ailleurs se combiner... »12.
Les évolutions futures peuvent transfigurer la garantie collective en lui
donnant tout à la fois un sens symbolique très fort (combattre les violations de masse), mais également en lui fournissant les outils pour arriver
à atteindre le Graal de l'effectivité. Pour l'heure, c'est le droit de recours
individuel de l'article 34 qui est au cœur du contentieux ; il a été interprété,
modelé, renouvelé par une politique jurisprudentielle particulièrement
engagée de la part de la Cour européenne, marquée par une volonté indiscutable d'ouvrir en grand les portes d'accès au prétoire strasbourgeois.

B. La construction prétorienne
A priori, la lecture de l'article 34 laisse à penser que toute personne
physique, toute personne morale (sans lien aucun avec la puissance
publique) et « tout groupe » de particuliers doivent arguer d'un intérêt
personnel à agir : ils doivent se présenter en effet comme des « victimes »
12. S. Platon, « Quand les racines internationales de la Cour européenne lui donnent
des ailes : la consécration du droit à indemnisation dans les affaires interétatiques », RDLF
2014, chron. n° 17 (www.revuedlf.com).

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