Grands Colloques - L'accès au juge et l'intérêt à agir - 112

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LES JUGES FACE À L'INTÉRÊT À AGIR

paradigme : la responsabilité partagée39 est à l'honneur. Les messages sont
clairs : le « fardeau » doit être partagé à parts égales avec les États, seul
moyen d'assurer la pérennité du mécanisme de garantie imaginé aprèsguerre. Tous ces éléments ont évidemment des conséquences sur l'intérêt
à agir devant la Cour européenne.
Le protocole n° 14 (entré en vigueur le 1er juin 2010) donne la possibilité
à la Cour de sélectionner les affaires sur la base du controversé critère du
« préjudice important »40. Dit autrement, le fait d'être victime ne suffit plus,
encore faut-il que le préjudice subi soit conséquent. Le mécanisme instauré
est basé sur l'analyse de trois éléments cumulatifs que la Cour doit successivement examiner : savoir tout d'abord si le requérant a subi un préjudice
important. Si la réponse à cette question est négative, elle se doit de vérifier
toutefois si le respect des droits de l'homme exige d'examiner la requête au
fond41 et si l'affaire a été « dûment examinée » par un tribunal interne, deux
éléments qui furent appelés des « clauses de sauvegarde ». L'idée était que
la notion de préjudice important ne devait pas être lancée à « tout prix »,
en sacrifiant les idéaux au cœur du mécanisme conventionnel. La pratique
démontra rapidement cependant que la seconde clause ne laissait pas de
continuer d'encombrer le temps et l'énergie des membres de la Cour, elle
finit par être supprimée par le protocole n° 1542... Il n'a pas été facile pour
la Cour de stabiliser sa jurisprudence sur ce nouveau critère de recevabilité.
Tout, en réalité, est affaire de casuistique, même si elle a tenté de rationaliser
sa jurisprudence au moyen de l'établissement au fil de l'eau de plusieurs
critères : ils concernent la nature du droit prétendument violé ; la gravité
de l'incidence de la violation alléguée dans l'exercice d'un droit et/ou les
conséquences éventuelles de la violation sur la situation personnelle du
requérant : ici est examiné l'enjeu de la procédure nationale ou son issue43.
Mécanisme régulateur du flux des requêtes, ses incidences sur l'intérêt
39. Il s'agit du titre officiel de la Conférence de haut niveau organisée par la présidence
belge à Bruxelles en mars 2015 : « La mise en œuvre de la Convention européenne : notre
responsabilité partagée ». Au préalable, la Cour européenne, dans le cadre de ses rencontres
annuelles avec les juridictions nationales, avait déjà lancé la formule : La mise en œuvre des
arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme : une responsabilité judiciaire partagée ?,
Dialogues entre Juges 2014, Strasbourg, Conseil de l'Europe, 2014, 42 p.
40. F. Benoit-Rohmer, « Un préjudice préjudiciable à la protection des droits de l'homme :
premières applications du protocole n° 14 sur la condition de préjudice important », RTDH
2011/85, n° 23.
41. Ainsi, une requête dont l'enjeu financier est nul, peut être examinée, quand elle soulève
une question d'importance subjective pour les requérants, comme l'attribution du nom de
famille à un enfant, CEDH, 7 janv. 2014, Cusan et Fazzo c/ Italie.
42. Le rapport explicatif précise au point 23 : « Cet amendement est destiné à donner un
plus grand effet à la maxime de minimis no curat praetor ».
43. D. Szymczack, « Le préjudice important... un critère inquiétant ? Retour sur les
critères d'application de la nouvelle condition de recevabilité par la Cour de Strasbourg »,
RTDH 1er juill. 2014, p. 555-570.

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