Penser la blessure Cette problématisation philosophique a cet intérêt d'éviter le piège qui consiste à perdre de vue la ligne d'existence que la victime aurait dû avoir si l'accident n'avait pas eu lieu. En effet, ce qui est un préjudice en tant que tel se voit indirectement mal évalué par l'habitude même d'une certaine prévalence du réel sur le possible. Par un biais cognitif trompeur, à ce qui aurait dû avoir lieu, c'est-à-dire au devenir de l'enfant tel qu'il se serait déployé « naturellement » si l'accident n'avait pas eu lieu, nous substituons fallacieusement l'implacable et massive réalité du handicap qui, par son évidence, sa nécessité, occulte et refoule ces possibles que l'accident a à jamais irréalisés faute d'avoir été trop indéterminés3. C'est le monde possible de l'existence que l'enfant aurait dû avoir si l'accident n'avait pas eu lieu qui se déréalise, par l'excès d'indétermination et d'indistinction qui vient essentiellement du fait que l'accident frappe un enfant, alors que le principe de réparation intégrale exigerait que l'on ne perde jamais de vue la réalité de cette vie expropriée par l'accident. Ceci s'analyse philosophiquement comme une méconnaissance du régime ontologique tout à fait particulier des possibles en tant que catégorie modale. Cette illusion « cognitive » revient en effet à inverser perversement les catégories de la modalité. En effet - et c'est visiblement ainsi que pensent parfois les débiteurs de la créance de réparation - 3. Cette indétermination étant le produit du manque d'indices concrets nous permettant de nous faire au moins une idée de ce qu'aurait été la vie de la victime si l'accident n'avait pas eu lieu. 242