Manuel - Droit des biens - 2e - 138

DROIT DES BIENS
revendication de la propriété39. La Cour de cassation prend soin de redonner
aux actions intentées leur exacte qualification40.
Le bornage est définitif41, ce qui suppose semble-t-il qu'il ait été matérialisé par
l'apposition de bornes42. En revanche, un bornage n'empêche pas l'exercice ultérieur d'une action en revendication, dont l'objet est distinct43 ; or, si les limites de
la propriété reconnue ne correspondent pas au bornage préétabli, l'établissement
d'un nouveau bornage sera nécessaire.

39. On en déduit que celui qui intente une action en bornage ne peut se prévaloir de sa demande pour
interrompre le cours de la prescription acquisitive de l'autre partie (Cass. 3e civ., 10 oct. 1978, Bull. civ. III,
no 308 : « la cour d'appel relève que l'action intentée par [X] devant le tribunal d'instance tendait à faire
procéder au bornage de sa propriété d'après l'application des titres des parties et des documents de la
cause ; (...) à bon droit elle a décidé que cette citation ne peut être considérée comme la citation en justice
prévue par l'[ancien] article 2246 du Code civil, pour interrompre la prescription ») et que le juge saisi d'une
action en bornage ne saurait prescrire l'enlèvement d'un ouvrage (Cass. 3e civ., 10 juill. 2013, Bull. civ. III,
no 97 : une cour d'appel saisie d'une action en bornage retient que cet ouvrage empiète, après délimitation
des parcelles, sur le fonds voisin et accueille la demande en enlèvement dudit ouvrage ; « en statuant ainsi,
alors que l'action en bornage dont elle était saisie a seulement eu pour effet de fixer les limites des fonds
contigus sans attribuer aux consorts [X] la propriété de la portion de terrain sur laquelle se trouvait l'ouvrage en métal édifié par [Y], la cour d'appel a violé les textes susvisés »).
Le hiatus qui peut exister entre le « bornage » et la « propriété » a conduit la Cour EDH à examiner la distinction entre ces deux notions (Cour EDH, 4 janv. 2012, SCI La Roseraie c/ France, Req. no 14819/08). En
l'espèce, à la suite d'un empiétement, deux voisins concluent une transaction renfermant un procès-verbal
de bornage et devant être réitérée devant notaire. La victime de l'empiétement refuse de réitérer la transaction et intente une action en revendication de propriété et en démolition des constructions érigées sur
sa parcelle. La victime de l'empiétement, d'un côté, est condamnée à réitérer la transaction comprenant
l'accord de bornage mais, d'un autre, se voit reconnaître la propriété du terrain, l'auteur de l'empiétement
étant donc contraint de démolir les constructions. Ce dernier saisit la Cour EDH en alléguant une violation
de l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Conv. EDH. Il fait en premier lieu valoir qu'il a subi une
privation de propriété dans la mesure où le procès-verbal de bornage portait sur la propriété : l'argumentation est balayée par la Cour EDH qui estime que le bornage n'a pas d'incidence sur l'attribution de la propriété et n'a pu faire naître d'espérance légitime d'accéder à la propriété. Le requérant fait en second lieu
valoir une privation de son droit de propriété des matériaux qui avaient servi à la construction démolie : la
Cour EDH lui répond qu'il ne pouvait faire valoir aucune prétention sur ces matériaux alors qu'il n'avait
aucun droit ni aucune tolérance ou espérance sur le sol.
40. Cass. 3e civ., 8 juill. 2009, Bull. civ. III, no 175 : « la demande en bornage de la société était en réalité une
action en revendication de propriété ». Adde Cass. 3e civ., 6 mars 1974, Bull. civ. III, no 104 : « saisi d'une
action en bornage le tribunal d'instance est compétent pour statuer à charge d'appel sur une exception
ou un moyen de défense impliquant l'examen d'une question de nature immobilière pétitoire, une telle
action n'étant susceptible de se transformer en revendication qu'en cas de contestation réelle et sérieuse
sur les titres ou la propriété ».
41. V. notamment Cass. 3e civ., 16 nov. 1971, Bull. civ. III, no 557 : il n'y a pas lieu d'accueillir une demande
en bornage en raison d'un accord antérieur des parties sur l'implantation de bornes marquant déjà les
propriétés (dans le même sens, v. Cass. 3e civ., 17 juill. 1972, Bull. civ. III, no 460).
42. Cass. 3e civ., 19 janv. 2011, Bull. civ. III, no 9 : « une demande en bornage judiciaire n'est irrecevable que
si la limite divisoire fixée entre les fonds a été matérialisée par des bornes ». Une telle solution peut étonner
puisqu'il suffirait de ne pas exécuter la convention de bornage pour pouvoir exercer une action en justice
aux fins de bornage. Comp. Cass. 3e civ., 9 juin 2015, pourvoi no 14-11125 : « à la suite d'un projet d'échange
de certaines parcelles entre les parties, un géomètre avait procédé à la détermination de la future limite
séparative, à l'établissement d'un document d'arpentage et à la pose de deux bornes dont l'une avait disparu et constaté que ce projet d'échange avait été abandonné, la cour d'appel a souverainement déduit de
ces constatations, dont il résultait qu'aucun bornage amiable antérieur n'avait été définitivement établi,
que la demande de bornage judiciaire était recevable ». En tout état de cause, il appartient aux juges du
fond d'établir souverainement si un bornage a été effectué (v. décisions préc.).
43. Cass. 3e civ., 18 oct. 2006, Bull. civ. III, no 202 : « une action en bornage n'a pas le même objet qu'une
action en revendication de propriété » ; Cass. 3e civ., 10 nov. 2009, Bull. civ. III, no 249 : « la décision passée
en force de chose jugée qui avait statué sur une demande en bornage tendant exclusivement à la fixation
de la ligne divisoire entre les fonds, n'avait pas eu à trancher la question de propriété de la parcelle et ne
faisait pas obstacle à l'action en revendication ».

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