Manuel - Droit des biens - 2e - 560

DROIT DES BIENS
Tant et si bien que la tradition réelle apparaît être un acte d'exécution et non de
réalisation du transfert ; quant à la tradition civile, qui réalise le transfert, elle est
opérée par le contrat, sans l'intercession d'une obligation35.
638. Principe du transfert solo consensu. Les textes. Faute de texte général clair, ce sont des textes spécifiques à la vente et encore plus aux donations
que ressort l'absence d'exigence d'une véritable tradition en vue d'opérer un
transfert de propriété. D'après l'article 1583 C. civ., la vente « est parfaite entre
les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès
qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas été livrée ni le prix
payé »). Quant36 à l'article 938 C. civ., il indique que « [l]a donation dûment acceptée sera parfaite par le seul consentement des parties ; et la propriété des objets donnés sera transférée au donataire, sans qu'il soit besoin d'autre tradition ».
Le débat avait quelque peu été relancé au sujet de l'obligation de donner, dont faisait
mention l'ancien article 1226 C. civ. : « Tout contrat a pour objet une chose qu'une partie
s'oblige à donner, ou qu'une partie s'oblige à faire ou à ne pas faire ». L'obligation de donner
constituerait une obligation de transférer la propriété, par où ressurgirait l'exigence d'une
tradition. La question de savoir si un contrat translatif met véritablement à la charge du
cédant une obligation de donner ou si le transfert de propriété est un effet non obligationnel du contrat est controversée37. Le débiteur n'ayant pas d'influence sur l'exécution ou
l'inexécution du transfert de propriété, on peut cependant préférer y voir un effet non
obligationnel du contrat qu'une véritable obligation38.

639. Exceptions au principe du transfert solo consensu. Le principe du
transfert solo consensu comporte certaines exceptions, dont aucune pourtant ne
révèle l'exigence d'une tradition ou l'existence d'une obligation de donner.
En premier lieu, lorsque la vente porte sur une chose de genre, c'est-à-dire d'un
genre de choses39, le transfert de propriété a lieu dès l'individualisation de celle-ci en
35. Dit autrement, l'échange des consentements vaut tradition civile de la chose, laquelle fera ensuite l'objet d'une tradition réelle par l'exécution de l'obligation de délivrance.
36. C'est pourquoi la jurisprudence estime que « sauf convention contraire, tous les fruits de l'immeuble
appartiennent à l'acquéreur depuis le jour de la vente » (Cass. 3e civ., 26 mars 2014, Bull. civ. III, no 45 ; au
visa notamment de l'article 1614 C. civ. : « [l]a chose doit être délivrée en l'état où elle se trouve au moment de la
vente. (al. 1) Depuis ce jour, tous les fruits appartiennent à l'acquéreur. (al. 2) »).
37. V. notamment P. BLOCH, « L'obligation de transférer la propriété dans la vente », RTD civ. 1988, p. 673 ;
M. FABRE-MAGNAN, « Le mythe de l'obligation de donner », RTD civ. 1996, p. 85, J. HUET, « Des différentes obligations et, plus particulièrement, de l'obligation de donner, la mal nommée, la mal aimée », in Mélanges
Ghestin, LGDJ, 2001. Adde Ph. CHAUVIRÉ, L'acquisition dérivée de la propriété (Le transfert volontaire des biens),
préf. Th. REVET, th., LGDJ, 2013 ; J. DUBARRY, Le transfert conventionnel de propriété (Essai sur le mécanisme
translatif à la lumière des droits français et allemand), th., LGDJ, préf. B. DAUNER-LIEB et R. LIBCHABER, 2014.
38. En ce sens, W. DROSS, no 29. Tout au plus peut-on mentionner le cas particulier de la vente de la chose
d'autrui. Ainsi que le Code civil le prévoit, « [l]a vente de la chose d'autrui est nulle : elle peut donner lieu à des
dommages-intérêts lorsque l'acheteur a ignoré que la chose fût à autrui » (art. 1599 C. civ.). Certes, le contrat est
nul, mais tant que sa nullité n'est pas prononcée, il est efficace et produit ses effets... à l'exception du
transfert de propriété. Pour autant, cela ne révèle pas l'existence d'une obligation de transférer la propriété : si le transfert n'a pas eu lieu, ce n'est pas parce que le vendeur l'a empêché, mais parce qu'il était
impossible qu'il eût lieu.
Il reste que la vente de la chose d'autrui est possible lorsqu'elle a pour assiette une chose future
(art. 1163 al. 1 C. civ. : « L'obligation a pour objet une prestation présente ou future ») et sur toutes choses,
pourvu que le transfert de propriété soit retardé (Cass. 1re civ., 28 mai 1991, pourvoi no 89-18609 : « en décidant que la promesse de vente du 7 octobre 1986 était nulle comme constitutive d'une vente de la chose
d'autrui, alors que cette vente était à terme et que M. Y..., lui-même propriétaire de 44 actions, était titulaire
sur les 63 autres d'un droit de rachat qu'il avait régulièrement mis en œuvre, la cour d'appel a violé
[l'article 1599 C. civ.] »). En définitive, que le transfert de propriété soit ou non retardé, la vente de la
chose d'autrui devrait être sanctionnée par la résolution, en raison de l'impossibilité de réalisation du transfert du contrat, que cette impossibilité résulte ou non de l'inexécution d'une obligation du vendeur.
39. V. supra, no 80.

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