Précis Domat - Droit parlementaire - 6e - 35

CARACTÈRES DU DROIT PARLEMENTAIRE

articles 108 du Règlement de l'Assemblée nationale et 42 du Règlement du Sénat
disposent à cet effet qu'après la première lecture « la discussion des articles est
limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir
à un texte identique », et qu'en conséquence « les articles votés par l'une et l'autre
assemblée dans un texte identique ne peuvent faire l'objet d'amendements qui
remettraient en cause les dispositions adoptées » : c'est ce qu'on appelle la règle
de l'entonnoir (v. infra, no 372) Cependant, les décisions nº 268 DC du
29 décembre 1989 et 274 DC du 29 mai 1990 ont décidé que le Gouvernement
pouvait à n'importe quel moment remettre en cause des décisions conformes des
deux assemblées.
Pour expliquer cette solution, un commentateur autorisé a observé que la pratique de la
navette exposée plus haut « repose sur les règlements des assemblées sans avoir de fondement
constitutionnel direct »32. Les restrictions édictées par les règlements à l'égard des initiatives des
parlementaires ne sont donc pas opposables au Gouvernement dès lors que la Constitution ne le
prévoit pas expressément. On observera cependant que ces restrictions, déclarées conformes à la
Constitution par le Conseil lui-même, ne font que mettre en œuvre l'article 45 C, lequel dispose
que « tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du
Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique », et précise qu'après « deux lectures par
chaque assemblée, le Premier ministre a la faculté de provoquer la réunion d'une commission
mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion », c'est-àdire celles qui n'ont pas été adoptées ou rejetées. Aussi bien, le Conseil constitutionnel est-il
revenu par la suite sur cette jurisprudence contestable (v. infra, nº 374)

Une source originaire. Le Conseil constitutionnel ne se borne pas à déterminer, parfois de manière inattendue, la portée des règles de valeur constitutionnelle,
il lui arrive de faire œuvre prétorienne en créant de telles règles, comme le montre
la jurisprudence inaugurée par la décision 225 DC Amendement Séguin du 23 janvier 1987 qui recourt à la notion de « limites inhérentes à l'exercice du droit
d'amendement » pour tenter de contenir l'abus par le Gouvernement d'un droit
que la jurisprudence précitée soustrayait à toute restriction.
En l'espèce, le ministre avait ajouté aux dispositions restant en discussion d'un projet de loi le
texte complet d'une ordonnance que le président de la République avait refusé de signer et que la
fin prochaine de la session ne permettait pas de convertir en projet de loi comme cela avait été le
cas lors de précédents refus : le détournement de procédure était patent, car cet « amendement »
constituait bel et bien un projet complet artificiellement rattaché au projet en cours de discussion.
Mais si la distinction entre l'initiative législative et l'amendement, qui en est le « corollaire »
selon l'expression d'Eugène Pierre, est conceptuellement claire, elle n'a, en droit parlementaire,
qu'une portée procédurale et non substantielle, car il est impossible d'en fournir un critère objectif. Chateaubriand l'avait observé dès 1816 : « Vouloir fixer des bornes au droit d'amendement,
trouver le point mathématique où l'amendement finit, où la proposition de loi commence... c'est
se perdre dans une métaphysique politique sans rivage et sans fond »33. Pour sanctionner le
détournement de procédure, il aurait suffi que le Conseil appliquât la règle de l'entonnoir et abandonnât sa jurisprudence comme il devait le faire plus tard (v. infra, nº 374).

Il en va de même d'un autre principe, mentionné dans la décision du 23 janvier
1987, et appliqué par la décision 251 DC du 12 janvier 1989, principe selon lequel
un amendement ne saurait « être sans lien » avec le texte du projet. La création

■ 32. B. G
■ 33. C

ENEVOIS,

RFDA, mars-avril 1990, p. 149.
Grand écrits politiques, tome II, Imprimerie nationale, 1993, p. 332.

HATEAUBRIAND,

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