Droit et Économie - La petite entreprise - 159

EIRL ET ASPECTS DE DROIT PATRIMONIAL DE LA FAMILLE 159

biens sortiraient rétroactivement de son patrimoine d'affectation et du gage
professionnel qu'ils constituaient.
Pareilles hypothèses ne sont pas des vues de l'esprit, surtout au sein d'un
couple lorsque la mésentente s'installe et que s'annonce l'heure de la rupture ou du divorce. Outre les nombreuses difficultés liquidatives et de règlement des comptes susceptibles de se présenter selon les différends modes de
conjugalité et modalités de rupture, il y aura à régler le sort de l'entreprise, et
avec elle celui du patrimoine commun ou indivis affecté. Sans doute le jeu
des conventions de divorce, y compris du divorce contrat et sans juge institué
par la loi « J 21 » nº 2016-1547 du 18 novembre 201625, ainsi que le recours au
partage amiable permettront-ils de régler au mieux l'attribution à l'entrepreneur des biens affectés, à charge d'indemnités ou de soultes. Mais en cas de
litige et de partage judiciaire, on imagine les désastres possibles, sauf le jeu
éventuel des règles d'attribution préférentielle si les conditions de leur application sont réunies. Encore convient-il de rappeler qu'en matière de divorce,
l'attribution préférentielle n'est jamais de droit et qu'il peut être décidé que
la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant26.
En somme, si le législateur a permis à l'entrepreneur individuel d'affecter à
son activité professionnelle des biens communs ou indivis, sa prise en
compte de la nature spécifique de ces biens s'est arrêtée là, au stade de
l'affectation proprement dite. Au-delà, il ne s'est pas préoccupé de l'articulation du statut mis en place avec le droit des régimes matrimoniaux ou de
l'indivision. Il est permis de le regretter car si l'EIRL vit en couple, l'affectation de tels biens à son activité professionnelle ne s'ouvrira pas forcément
sur des horizons paisibles. Outre que sa responsabilité vis-à-vis de ses créanciers professionnels sera peut-être, au fil du temps et au gré des actes, moins
limitée qu'il ne pouvait le croire, il lui faudra conserver un certain goût
pour l'aventure à deux car les prérogatives et intérêts du conjoint ou du
compagnon ne pourront pas toujours être sacrifiés sur l'autel de l'entreprise. Nul doute qu'en l'état de la législation, il vaudra mieux conseiller à
un entrepreneur vivant en couple, et tout spécialement en mariage et sous
le régime de la communauté, de tenter de régler l'essentiel des difficultés
liées à son activité professionnelle, y compris dans la perspective d'un
divorce, par une convention matrimoniale ou modificative du régime matrimonial avant même d'opter pour le statut d'EIRL27.
Peut-être tout fonctionnera-t-il suffisamment bien et longtemps pour qu'un
jour, la poursuite de l'entreprise par un autre puisse être envisagée ? Dans
25. C. civ., art. 229-1 et s.
26. C. civ., art. 1475, al. 2.
27. Sur quelques difficultés et solutions en la matière : DESBUQUOIS J. F., « Protection patrimoniale
du chef d'entreprise contre les risques du divorce », AJ fam. 2012, p. 432.
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