Hors collection - Lectures critiques du Code des relations entre le public et l'administration - 99

MATHIEU DOAT

Placée sous le signe de l'unilatéralité, cette définition de la manière d'agir
de l'administration traduit la survivance d'une conception traditionnelle
du découpage symbolique de l'espace social. À partir de la distinction
entre l'unilatéral et le contrat, le code se limite à réitérer, tout en la réifiant,
l'opposition entre le public et le privé. En toile de fond, on reconnaît l'idée
ancienne selon laquelle l'État est le dépositaire de toute forme d'autorité et
dispose du monopole de la contrainte. L'administration se voit à nouveau
assigner le rôle d'autorité exprimant l'intérêt général ; pour le reste, et
notamment les échanges, ils peuvent prendre la forme du contrat qui peut
être aussi bien public que privé. Cette conception s'inspire d'une évidente
méfiance de l'administration qu'il faut d'abord définir comme puissance
unilatérale pour ensuite mieux prévoir les mécanismes qui permettront son
encadrement dans un État de droit.
À partir de là, on peut donc penser que les rédacteurs du code ont maintenu une définition traditionnelle de la manière d'agir de l'administration
avec le concept d'acte unilatéral pour mieux justifier les mesures qui
garantissent les droits des administrés. L'unilatéralité permettrait en fin
de compte l'affirmation de la primauté d'une citoyenneté administrative,
ce qui entraîne à la fois des droits objectifs et subjectifs pour l'administré.
Toutefois, en abandonnant la réalité empirique au profit de la notion
d'unilatéralité, le code prend le risque sérieux d'empêcher le développement de relations entre l'administration et le public. L'unilatéralité tend
à supprimer toute représentation qui traduise la complexité de la relation
entre l'administré et son administration.
Ainsi, par exemple, une autorisation administrative23, par laquelle
un administré demande à l'administration la possibilité de construire, de
commercialiser un médicament, ou encore de diffuser un film, est ramenée
à une manifestation de volonté de la puissance étatique. La réalité empirique est passée sous silence. Concrètement, la manifestation de volonté
à l'origine de l'acte ne provient pas de l'Administration qui se borne
à répondre à une demande. Elle pourra conseiller l'usager ou bien garder
le silence. Dans cette dernière hypothèse, il est difficile de savoir quelle
était réellement sa volonté.
Cette même réalité est niée lorsque l'on envisage le recrutement d'un
fonctionnaire : dans ce processus d'intégration au corps administratif, son
consentement est complètement effacé pour ne laisser voir qu'un seul côté :
l'acte du souverain qui sélectionne objectivement un candidat.
Sans développer trop d'exemples, cette saisie fantasmatique du réel
est d'autant plus discutable qu'elle constitue une modalité d'évitement
23. Sur le concept d'autorisation administrative, v. la thèse de L. Seurot, L'autorisation
administrative, dactyl., Université de Lorraine, 2013.

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