Hors collection - L'exécution des sentences arbitrales internationales - 214

L'EXÉCUTION DES  SENTENCES ARBITRALES INTERNATIONALES

encourt le risque d'avoir à payer deux fois. Il est en outre intéressant de noter que
cette jurisprudence a été rendue à l'occasion de saisies conservatoires, et non
de saisies-attributions. Même si les entreprises françaises n'étaient donc pas, au
moment où elles ont introduit leur action en mainlevée, sous le coup d'une obligation de régler les sommes litigieuses, les saisies conservatoires ayant vocation
à être converties en saisies-attribution, le risque de double paiement était suffisamment établi pour leur reconnaître un intérêt à agir. Un tel intérêt devrait donc
a fortiori être reconnu à l'entreprise française qui ferait directement l'objet d'une
saisie-attribution.
Pour autant, au-delà de la question de l'intérêt à agir, ce n'est pas au motif d'éviter
au tiers saisi un double paiement, mais en plaçant sur le seul terrain des immunités d'exécution que la mainlevée des saisies a été accordée dans l'affaire NML/
Argentine, la cour d'appel, puis la Cour de cassation, ayant considéré que l'État
argentin n'avait pas renoncé à son immunité à l'égard de ces créances.
22. Aussi, l'évolution de la jurisprudence sur la renonciation à l'immunité d'exécution
n'est pas neutre de conséquences sur la situation du tiers saisi : plus on admettra
libéralement la renonciation, plus le tiers saisi se trouvera exposé au risque d'un
double paiement. Certes, il est vrai que la loi française ne tend pas vers le libéralisme
en la matière47. Mais en toute hypothèse, il demeure nécessaire de reconnaître au
tiers saisi un moyen de défense propre, tenant au contrôle de l'effectivité du caractère libératoire de la saisie à l'endroit de l'État débiteur.
Si la reconnaissance d'un intérêt à agir en mainlevée est un préalable nécessaire, il
n'est certainement pas suffisant. Il faudrait, pour cela, qu'une véritable attention soit
prêtée au régime de la créance saisie. La question n'est pas nouvelle qui consiste
à envisager l'obligation non dans les rapports entre créancier et débiteur, « mais
comme élément du patrimoine du créancier, sur lequel peuvent s'exercer les prétentions des tiers »48. Le droit applicable aux voies d'exécution suivant le principe de
territorialité, contraindre le juge à prendre en compte cette loi propre de l'obligation
n'est concevable que si l'on retient une règle de conflit spéciale propre à la créance
en tant qu'élément de patrimoine, ou si l'on fait de l'effectivité de la libération du
tiers saisi une règle matérielle impérative du droit international privé. Faire de la
compétence du juge français la variable d'ajustement49, à l'imitation de la High Court
de Londres, semble peu compatible avec la qualification de compétence juridictionnelle et la fonction que cette notion remplit en droit français.
23. À tout le moins, il manque en droit français une règle spécifique aux saisies
internationales entre les mains de tiers, qui conditionnerait la saisie à la vérification

47. La loi Sapin II précitée marque en effet un net recul, revenant à l'exigence d'une renonciation non seulement expresse
(remettant ainsi en cause la jurisprudence Creighton/Qatar (Cass. 1re civ., 6 juill. 2000, Bull. civ. I, n° 207) qui avait
admis que l'on infère la renonciation à l'immunité d'exécution du règlement d'arbitrage de la CCI) mais en outre spéciale
(à rebours de la récente décision Commisimpex Cass. 1re civ., 13 mai 2015, Bull. civ. I, n° 107).
48. H. BatiFFol et P. lagarde, Droit international privé, t. 2, LGDJ (7e éd.), 1983, p. 215.
49. F. ameli, op. cit. (n° 48), p. 621, § 480.

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