Hors collection - L'exécution des sentences arbitrales internationales - 70

L'EXÉCUTION DES  SENTENCES ARBITRALES INTERNATIONALES

En aucun cas, évidemment, ce recours au juge étatique pour obtenir une sûreté judiciaire ne pourrait être interprétée comme une renonciation à la clause d'arbitrage
pas plus que la saisine ultérieure du tribunal arbitral ne sauraient empêcher un tel
recours au juge étatique13 qui, rappelons-le, a compétence exclusive en la matière14.
6. Cette compétence exclusive du juge étatique prive-t-elle pour autant le tribunal
arbitral de tout moyen d'action ? Évidemment non. Ce dernier n'a certes pas le pouvoir
de faire naître une sûreté contre la volonté du débiteur, mais il peut néanmoins, à
titre conservatoire, lui enjoindre de constituer une garantie, au besoin sous astreinte.
L'article 1468 précise en effet que « le tribunal arbitral peut ordonner aux parties, dans
les conditions qu'il détermine et au besoin à peine d'astreinte, toute mesure conservatoire ou provisoire qu'il juge opportune »15. Or, la fourniture d'une sûreté relève, sans
aucun doute, des mesures conservatoires que le tribunal peut, en vertu de ce texte,
imposer aux parties16. La seule infirmité du procédé tient dans le fait que la décision
du tribunal ne pourra pas s'imposer au débiteur récalcitrant sans l'appui d'un juge
étatique17. Or, si le recours au juge est nécessaire, le créancier n'aura-t-il pas meilleur compte de solliciter directement de ce dernier l'octroi d'une sûreté judiciaire ?
7. En réalité, les deux voies ne sont pas vraiment équivalentes.

13. v. en ce sens, l'article 28, 2 du règlement d'arbitrage de la CCI : « Avant la remise du dossier au tribunal arbitral et
même postérieurement si les circonstances s'y prêtent, les parties peuvent demander à toute autorité judiciaire des mesures
provisoires ou conservatoires. La saisine d'une autorité judiciaire pour obtenir de telles mesures ou pour faire exécuter
des mesures semblables prises par un tribunal arbitral ne contrevient pas à la convention d'arbitrage, ne constitue pas
une renonciation à celle-ci, et ne préjudicie pas à la compétence du tribunal arbitral à ce titre. Pareille demande, ainsi
que toutes mesures prises par l'autorité judiciaire, sont portées sans délai à la connaissance du Secrétariat qui en informe
le tribunal arbitral ».
14. Sur l'efficacité douteuse de la clause par laquelle les parties renonceraient à toute possibilité de solliciter des mesures
conservatoires de la part du juge étatique, v. Ph. tHéry, « Judex Gladii (des juges et de la contrainte en territoire français) », Mélanges en l'honneur de Roger Perrot, Dalloz, 1996, p. 477, spéc. n° 31, p. 492 ; C. CHaiNais, « Les mesures
provisoires dans le nouveau droit français de l'arbitrage », L'arbitre et le juge étatique, Études de droit comparé à la
mémoire de Giuseppe Tarzia, Bruylant, 2016, p. 281 et s., spéc. n° 85 et s., p. 323 et s. favorable au maintien de la
possibilité d'un accès au juge étatique du provisoire pour toutes les hypothèses d'urgence dans lesquelles l'arbitre ne
serait pas en mesure de réagir efficacement.
15. Formellement introduit par la réforme du 13 janvier 2011, ce pouvoir d'ordonner des mesures conservatoires avait
déjà été reconnu à l'arbitre par les juridictions françaises (v., remarquable et remarqué, CA Paris, 7 oct. 2004, JDI 2005,
p. 341, note A. mourre et P. PedoNe). Il se rencontre également dans de nombreuses législations étrangères (Allemagne,
Espagne, Suisse, Belgique... v. F. ramos meNdez, « Arbitrage international et mesures conservatoires », Rev. arb. 1985,
p. 51, spéc. p. 55), dans la plupart des règlement d'arbitrage (v. le règlement CCI, art. 23.1 qui donne au tribunal la
possibilité d'ordonner « toute mesure conservatoire ou provisoire qu'il considère appropriée » ; v. encore le règlement
de l'American Arbitration Association, art. 21) et à l'article 17 de la loi-type de la CNUDCI. - v. sur cette question,
C. CHaiNais, art. préc., n° 38 et s., p. 300 et s.
16. A. yesilirmaK, « Les mesures provisoires dans la pratique arbitrale CCI », Bull. CCI, vol. 11, n° 1, 2000, p. 32 et s.
17. F. ramos meNdez, « Arbitrage international et mesures conservatoires », art. préc., p. 67 : « L'exécution forcée des
mesures conservatoires accordées par les arbitres doit s'orienter vers le concours des tribunaux étatiques qui ont le monopole de la force publique » ; E. loquiN in JCl. Procédure civile, fasc. 1036, nov. 2015, spéc. n° 30 : « On peut espérer
qu'ainsi contrainte la partie, tenue d'exécuter la mesure, le fera spontanément. À défaut, pour faire exécuter la mesure,
le recours au juge étatique sera nécessaire ». - Sur la nature controversée de la décision provisoire rendue par l'arbitre
(simple ordonnance de procédure ou véritable « sentence provisoire » qui permettrait d'ouvrir la voie de l'exequatur), v. les
développements éclairants de C. CHaiNais, art. préc., n° 57 et s., p. 310 et s. qui penche en faveur de la qualification de
« sentence provisoire » tout en évoquant une voie médiane qui consisterait à laisser aux parties et à l'arbitre le soin de
choisir la qualification juridique adéquate.

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