Droit et Économie - Régulation et jeux d'argent et de hasard - 149

LA RÉGULATION DU SECTEUR DES JEUX ENTRE CHARYBDE ET SCYLLA 149

entre les nouveaux entrants et l'opérateur historique. Au pire cela peut se
traduire par des modèles de régulation asymétrique faussant la concurrence au profit des entrants comme cela fut mis en œuvre dans les télécommunications au Royaume-Uni au début de la libéralisation ou encore dans
la téléphonie mobile en France au travers de tarifs asymétriques de terminaison d'appel31. Il s'agissait ici de protéger des entrants qui étaient inéluctablement dans une situation de faiblesse vis-à-vis de l'opérateur dominant.
Cette logique pouvait s'expliquer dans une logique transitoire. Certes la
protection se faisait dans une certaine mesure au détriment des consommateurs mais, au terme de cette régulation éducatrice (pour transposer l'argument du protectionnisme éducateur) de F. List, le consommateur y gagnera
en termes de concurrence en prix, de liberté de choix et d'offre de biens
et services innovants.
La situation des jeux est sans doute dans une situation particulière. Le régulateur est particulièrement soucieux de la préservation d'une offre légale
attractive et viable économique en naviguant entre Charybde et Scylla,
c'est-à-dire entre la préservation d'objectifs d'ordre public et de santé
publique et la réponse à une offre illégale sans cesse consolidée par les ressources de l'économie numérique. La situation est ici des plus particulières : il s'agit de protéger le consommateur malgré lui des opérateurs du
marché (légaux ou illégaux) et de protéger les opérateurs légaux contre
les opérateurs illégaux éventuellement au détriment des consommateurs
dans la mesure où il s'agit de leur permettre de pérenniser leur présence
sur le marché par exemple en diversifiant les jeux proposés32.
La concurrence dans le secteur est donc placée sous des auspices pour le
moins particuliers. Elle est inéluctable eu égard aux règles européennes.
Elle est contrainte par l'économie numérique qui démultiplie les possibilités
31. L'opérateur mobile du client qui reçoit l'appel facture une charge à l'opérateur du client qui
émet l'appel. Cet opérateur est en monopole pour les appels entrants sur son réseau. Si les
quatre opérateurs ont des parts de marchés de 25 %, les charges se compenseront. Par contre
si un contrôle 70 % du marché à lui seul et si les trois autres ne contrôlent respectivement que
15, 10 et 5 %, cela reviendra à accroître d'autant plus les coûts que l'opérateur sera faible ou
qu'il s'agira d'un nouvel entrant. Fixer les charges à des niveaux différents en fonction des
parts de marché des opérateurs permet par une régulation asymétrique de compenser le handicap structurel des concurrents de l'opérateur historique.
Pour un exemple, voir la décision de l'ARCEP nº 2014-1485 du 9 décembre 2014 portant sur
la détermination des marchés pertinents relatifs à la terminaison d'appel vocal sur les réseaux
fixes en France et à la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles en France, la désignation d'opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations
imposées à ce titre pour la période 2014-2017.
32. Le lien entre performance organisationnelle et régulation sectorielle est crucial dans le secteur des jeux comme l'a montré la contribution de L. Meyer dans cette table ronde et son
ouvrage : L. MEYER, The influence of the regulatory environment on the definition of Organisational
performance - the examples of sport betting and lottery sectors, Haupt, 2015, 261 p.

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