Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 101

LE DROIT DU TRAVAIL D'EXCEPTION

concepts de réflexivité et de liberté, en évoquant les aspects positivement valorisés de l'exercice de la volonté, n'impliquent pas de considérer la réflexivité et
les contraintes comme des postulats abstraits, mais socialement situés.
Quant à l'État, il doit dépasser les contraintes de la « liberté négative » pour
créer des bases égalitaires pour l'exercice de la liberté. À ce propos, Sandra Fredman affirme qu'une vision positive de la liberté intègre une conception substantive de l'égalité 51, condition nécessaire, mais pas suffisante pour l'effectivité de
la liberté. Si, comme on l'a observé, les institutions destinées à promouvoir la
liberté et la protection des individus sont elles-mêmes vulnérables, elles ne peuvent pas procéder de la sorte en faveur des individus également vulnérables ontologiquement. Il ne suffit pas d'établir des conditions meilleures ou pires pour
assurer l'autonomie réflexive, mais d'admettre que les individus sont, de façon
simultanée autonome et vulnérable. Face à la reconnaissance de cette contradiction, l'État doit promouvoir la « capacitation » des personnes dans le sens indiqué par Amartya Sen 52 et Martha Nussbaum 53 ; voire, à partir de l'idée que
l'autonomie individuelle n'est pas inhérente à la condition humaine, qu'elle est
le produit des luttes politiques et sociales.
Resituer ce débat au cœur des problématiques soulevées par ce livre exige de
considérer également la liberté réelle par rapport à la sécurité socio-économique.
Les rapports de l'OIT des années 2004 et 2009 54, incarnaient déjà ses préoccupations s'inspirant d'une notion plus ample de la liberté. On y trouve des recommandations sur la sécurité économique, sociale et psychologique, estimées indispensables à l'expérience de la liberté, car contraires aux effets d'insécurité, de
risques et d'incertitude.
De ce point de vue, une conception élargie de la sécurité, associée à celle de
liberté, est indispensable pour envisager une façon de vivre qui soit : (1) débarrassée du sentiment de désarrois qui envahit les gens quand ils luttent pour la
survie et se sentent menacés par les risques et les événements qui mettent leur
vie en danger ; (2) libérée de la peur liée à tous les aspects antérieurs ; (3) censée
permettre aux individus de maîtriser leurs propres actions ; ce qui implique la
capacité d'accéder à l'éducation et de prendre des décisions en tant qu'individus
véritablement libres ; (4) apte à assurer aux individus un respect d'eux-mêmes

51. Cf. Sandra FREDMAN, Human Rights Transformed: positive rights and positive duties, Oxford
University Press, Oxford, 2008, p. 3.
52. Cf. Amartya SEN, Développement, justice, liberté, op. cit., p. 294.
53. Martha NUSSBAUM, Capabilités : Comment créer les conditions d'un monde plus juste ? Climats, Paris, 2012.
54. ILO, Economic Security for a better world. Programme on Socioeconomic Security, International Labour Office, Geneva, 2004; ILO, Recovering from the crisis - A global Jobs Pact, International Institute for Labour Studies, Geneva, 2009.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017101

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