Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 110

LA SOCIETE D'AUSTERITE

10.1. Le droit, révélateur des métamorphoses du politique
À l'ère des turbulences, les compromissions et connexions existantes entre la
société d'austérité et l'exceptionnalisme institutionnel et normatif exigent un
changement paradigmatique ; il est nécessaire en effet de concevoir un nouveau
paradigme sociojuridique, celui de la « sociologie du droit située ». Cette sociologie pourra également ouvrir les portes au renouvellement de l'enseignement
sociojuridique. Depuis la sociologie classique, nous savons que les études sociojuridiques se développent dans des périodes de mutation économique et sociale,
lorsque des dynamiques de ruptures s'installent. Ces dynamiques transformatrices sont actuellement liées à l'émergence de la société d'austérité qui contraint
les institutions, le droit, les modèles de normativité et de sociabilité en les situant
dans une « normalité d'exception ».
En effet, les sociétés de modernité avancée, celles du risque, de l'austérité et
de la vulnérabilité, soulèvent de nouvelles interrogations : comment le droit peutil agir pour diminuer les effets pervers de ces sociétés complexes ? Comment
peut-il éviter l'accroissement des inégalités, de l'exclusion sociale, des précarités
institutionnelles et sociales ? Est-il capable d'assurer l'émancipation des individus vis-à-vis des logiques négatives et éthiquement attentatoires à la dignité humaine et sociale ?
Plusieurs auteurs contemporains essayent, malgré leurs idiosyncrasies théoriques, d'apporter des éléments de réponse à ces questions. Deux idées clés sont
à la base de ces réflexions : la première se réfère à la prise de conscience nécessaire des tensions existantes entre les débats politiques et juridiques qui se développent au plan national ; même si un certain nombre de ces questions se situent
au niveau transnational et mondial. Selon Pierre Guibentif 92, cette prise de conscience s'accompagne de l'intuition qu'il existe une relation intense entre les « politiques de la science et les politiques du droit ». Jacques Commaille et Françoise
Thibault parlent du besoin d'éclaircissement, face à la complexité des mondes et
des modes par lesquels la sociologie du droit s'approprie son propre régime de
connaissance 93. Ceci déterminera la façon dont elle peut contribuer à la défense
des idéaux démocratiques, de justice sociale et de l'organisation d'une « bonne
société ».
La seconde réflexion est centrée sur les clivages qui traversent les sociétés
actuelles, considérées d'une grande importance pour la sociologie du droit. En
effet, ces clivages marquent les lignes de partage et de contamination qui existent
entre la marchandisation et le politique, la gauche et la droite, le capital et le
travail, la politisation et la dépolitisation, la démocratie et la non-démocratie, la
justice et les inégalités sociales. De ce point de vue, la lecture faite par les auteurs
contemporains fournit un ensemble d'éléments stimulants pour la sociologie du
92. Cf. Pierre GUIBENTIF, Politics of Science - Politics of Law A Case for Responsible Specific
Citizenships. Background paper for the plenary session of September 5th at the RCSL Congress
Toulouse, 2013.
93. Cf. Jacques COMMAILLE et Françoise THIBAULT (éd.), Des sciences dans la Science, Alliance
Athena, Paris, 2014, p. 21.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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