Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 114

LA SOCIETE D'AUSTERITE

On affirme que la crise des marchés financiers est une crise cyclique du capitalisme 104 ; que le pouvoir s'est déplacé de l'État vers le marché. Il ne constituerait alors plus un exercice et une manifestation du politique. Par la saisie des
logiques sociologiques de l'austérité, la sociologie de la crise permettra de mieux
comprendre le pouvoir économique financier, et son intérêt pour l'organisation
des sociétés ; cette sociologie doit regarder de près l'interpénétration des dynamiques sociales, politiques et juridiques. Cela veut dire que, sans ignorer les dimensions économiques et financières de la crise de 2008, la sociologie du droit
située doit privilégier l'analyse des dynamiques socio-politiques de l'austérité,
dont les lignes de discontinuité marquent aujourd'hui la pensée politique et sociale.
Cette sociologie doit revenir à la tradition d'une pensée critique et de l'engagement citoyen du sociologue. Dans le manifeste pour les sciences sociales,
Craig Calhoun et Michel Wiewiorka 105 ont témoigné de leur crainte par rapport
à une disqualification des sciences sociales pouvant être considérées comme inutiles de nos jours. Pour eux, les sciences sociales doivent intervenir en temps réel
pour proposer des éléments de réponse aux citoyens et aux responsables politiques. Comme contre-exemple, ils rappellent l'absence de ces savoirs au moment des débats qui suivirent la Grande Dépression de 1929, situation inacceptable aujourd'hui. Les sciences sociales doivent transformer la crise en une arène
de discussion permanente, d'où puissent surgir des idées et des alternatives pour
nos sociétés. La sociologie doit être une « sociologie critique », une « sociologie
publique », capable d'affirmer le projet démocratique de la connaissance du
monde social.
D'autres auteurs se sont impliqués dans ce type de projet en participant de
l'ouvrage organisé par Martine Aubry 106, dont l'objectif était d'orienter l'action
politique. Il ne s'agit pas ici de solliciter l'intervention des « intellectuels organiques », ni celle des conseillers du prince, et encore moins celle des experts qui
légitiment idéologiquement les savoirs. Au contraire, il s'agit de défendre la possibilité pour les sciences sociales et la communauté scientifique de participer activement à la vie publique.
10.3. La crise comme problème sociojuridique
L'approche sociologique de la crise de 2008, et de son impact sur la vie sociale,
constitue un défi pour les sciences sociales. On a mentionné en amont quelques
propositions stimulantes pour faire avancer ces dernières. La sociologie du droit a
été également confrontée à ce défi qui, chez elle, se pose aux plans politique, juridique ainsi que sur celui de la justice. Pour nous, une sociologie du droit située peut
être envisagée à travers sept problématiques principales : la politisation/dépolitisation ; les mutations de la production, application et fonctions du droit ; la relation
104. Cf. Armin SCHÄFER et Wolfgang STREECK (éd.), Politics in the age of austerity, op. cit.
105. Cf. Craig CALHOUN et Michel WIEWIORKA (éd.), « Manifeste pour les sciences sociales », Penser Global, 1er mars 2013, p. 5-39.
106. Cf. Martine AUBRY, Pour changer de civilization, Odile Jacob, Paris, 2011.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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