Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 117

LE DROIT DU TRAVAIL D'EXCEPTION

Le deuxième pilier est celui de l'incapacité, dans les sociétés démocratiques, pour
les systèmes de résolution des conflits d'apporter des réponses à ces derniers
lorsqu'ils émergent des dynamiques de l'austérité. Les institutions politiques, telles
que les gouvernements, les parlements, les tribunaux, les espaces de dialogue et de
concertation sociale, aussi bien que les différents canaux d'accès aux biens publics
promus par l'État, sont conditionnées par une rationalité économique détachée de la
réalité sociale, qui met en cause les processus d'intégration sociale et d'institutionnalisation des conflits. Le troisième pilier se réfère aux processus de socialisation, aux
modèles culturels et aux mécanismes de reproduction sociale confrontés à une logique de normalisation de l'exception. Ce « nouveau normal » détermine les formes
d'interaction sociale - celles des représentations sociales et celles du contrôle social
à partir de la logique de l'austérité - marquée par le conformisme face aux privations
des biens matériels et symboliques.
La société de l'austérité connaît des conflits entre les droits fondamentaux et
les principes démocratiques du droit. Pour cette raison, il faudra identifier l'impact de l'application de ces mesures au sein des droits fondamentaux, et les conséquences qui en découlent pour les relations et les pratiques sociales. On doit
partir du postulat qu'il existe une conflictualité entre le modèle de l'austérité et
les droits fondamentaux. Celle-ci est ancrée dans la double tension qui oppose
les principes de la légitimité démocratique, de la politique et des droits aux principes de l'exceptionnalisme, pour lesquels les droits fondamentaux doivent se
plier aux intérêts spéculatifs du marché financier.
10.3.4. Une ou deux théories de l'exception

Dans le domaine sociojuridique, les rapports entre le droit et l'austérité constituent un objet d'analyse récent. D'un côté, il existe une ligne de recherche orientée
vers l'étude des mesures d'exception qui ont été introduites, à partir du 11 septembre
2001, dans le domaine des droits fondamentaux, bouleversant la conception politique
de la liberté. Mais l'analyse de l'impact de mesures législatives de l'exception dans
la sphère des droits fondamentaux économiques et sociaux liés à la conception politique de l'égalité semble être encore insuffisante. Sur ce terrain, un argument central
prend forme : nous nous trouvons dans une deuxième phase de l'exception, où celleci devient plus sélective et élabore une narrative sur les limites et la réduction des
droits fondamentaux, notamment économiques et sociaux. Celles-ci sont considérées
comme des restrictions essentielles pour le rétablissement de l'équilibre économique
et financier des pays en crise. Cette narrative met en cause les référentiels normatifs
de la justice sociale tels qu'ils sont présentés dans la Charte sociale européenne et la
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui s'appuient sur une normativité austère d'exception.
10.4. L'exceptionnalisme de l'austérité
L'exceptionnalisme de l'austérité mène à l'oubli des droit fondamentaux ; le
droit rend effective l'austérité ; celle-ci définit les stratégies qui matérialisent les

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017117
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