Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 12

LA SOCIETE D'AUSTERITE

seulement le triomphe de l'économique sur le politique. Elle ouvre la voie à l'instauration de pouvoirs « contre-hégémoniques ».
L'essai que nous offre ici António Casimiro Ferreira est bien dans un pareil
esprit, même si le désenchantement y prévaut. C'est évident pour ce qui concerne
les analyses qu'il développe des politiques d'austérité telles qu'elles se donnent
à voir à partir des mutations du droit du travail. Il ne me revient pas dans une
préface d'en restituer la profondeur et la pertinence. Il appartient au lecteur luimême d'en prendre connaissance et de se situer par rapport à ce qui est bien une
thèse sur l'évolution du monde. Il peut être simplement utile ici d'alerter sur les
enjeux fondamentaux qu'une telle approche suggère, comme le souligne luimême l'auteur : non seulement à propos du droit du point de vue de ce qui ne
serait qu'une sociologie du droit, mais sur ce que cette façon de partir des changements de contenu et de statut du droit, de ses usages par le politique, dit du
politique. Il en découle logiquement à la suite de ce changement de focal luimême une exigence de changement des modes de connaissance sur le social et le
politique.
C'est sur ces deux derniers aspects que je voudrais attirer particulièrement
l'attention dans cette préface, en n'ignorant pas qu'ils peuvent faire l'objet de
débats. Mais je pense être ici dans la fidélité de l'esprit au fondement des publications de Droit et Société. Les activités de publication de Droit et Société sont
inspirées par la volonté de promouvoir des espaces d'échanges, de discussions,
de confrontations, où la pluralité des appartenances disciplinaires, des Écoles de
pensée, des positionnements au plan épistémologique et au plan éthique, certains
diront idéologiques, est assumée comme un atout, en l'occurrence au service
d'une quête de progrès de la connaissance sur le droit.
Ce que nous suggèrent les analyses développées par l'auteur, c'est une interrogation sur la « raison » du droit, pour certains la « Raison du "Droit" ». Dans
les processus observés par António Casimiro Ferreira, cette « Raison » du
« Droit » ne peut définitivement pas être l'expression d'une conception essentialiste. Il en résulte que le droit ne peut prétendre lui-même définir ses finalités.
Rien ne le montre mieux, à l'inverse de la représentation d'un droit qui procéderait de « l'Immaculée Conception », que le fait qu'il soit mis au service de coopérations prenant des formes nouvelles entre les phases de développement les
plus récentes de « l'État capitaliste » et l'économie. Ce que l'auteur appelle « la
nécessité économique » justifie ce qu'il qualifie d' « exception juridique », c'està-dire la remise en question de tous ces dispositifs juridiques au cœur de ce
qu'était l'État social. Pour l'auteur, la « nécessité économique » et « l'exception
juridique » se conjuguent pour permettre ce qu'il appelle « la naturalisation des
principes de l'austérité » de façon analogue à cette « naturalisation de la domination » dont chez Pierre Bourdieu le droit serait l'instrument. De telles coopérations, une telle surdétermination du politique par une forme particulière d'économie, où le droit est assigné à jouer un rôle déterminant, mais sous bien d'autres
formes que celles de la mise en œuvre d'une « Raison », pose alors pour l'auteur,

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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