Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 13

PREFACE

plus généralement, « les limites de la démocratie représentative ». Elles présentent le risque de la disqualification de cette dernière aux yeux de la majorité des
citoyens, donc le risque d'une perte de légitimité du politique.
Le constat de ces nouvelles configurations incite l'auteur à souligner un autre
aspect qui paraît d'une extrême importance pour comprendre le sens de ce qui
apparaît dans beaucoup de travaux au niveau international comme une nouvelle
économie des rapports entre le juridique et le politique. Il souligne ainsi l'importance croissante prise par des instances en apparence à vocation technique, conduisant à un effacement ou à une euphémisation des enjeux politiques et qui consacrent une normativité gestionnaire au sein de laquelle le droit n'est plus porteur
de finalités et de valeurs. Le droit concourt au traitement et à la résolution de
questions exclusivement techniques et justifiées par des objectifs annoncés de
rationalisation, d'efficacité, d'efficience. Dans le cadre de la mise en place des
politiques d'austérité à laquelle l'auteur consacre ses réflexions, c'est l'avènement d'un autre monde qui s'affirme que celui des acteurs et des instances politiques traditionnels au centre de la régulation politique. Ce monde, c'est en l'occurrence celui des « marchés, des organisations financières internationales, des
banques centrales, des agences de régulation, des agences de notation », qui font
en quelque sorte écho à ces experts, à ces agences techniques, à ces agences paragouvernementales productrices de normes, de standards, d'indicateurs, etc. auxquels il est fait abondamment référence dans les travaux traitant de l'imposition
croissante d'une normativité gestionnaire. Cette dernière déborde ou instrumentalise la normativité juridique (qui n'est plus faite que de règlements, de circulaires, d'instructions, etc.). Les impératifs prévalent : de gestion (avec une rhétorique « coûts-bénéfices » et le recours à des instruments actuariels), de classement, d'évaluation, de la prétention à un « gouvernement par les nombres » ou
de l'effectivité de plus en plus affirmée d'une « gouvernance sans droit ». C'est
un nouveau pouvoir qui s'instaure ayant toutes les apparences de la neutralité
axiologique et donnant l'illusion des certitudes scientifiques. Dans les situations
observées par l'auteur du présent ouvrage, « ces entités, (...) n'appartiennent pas
au système politique, mais elles permettent d'échapper à toutes les exigences du
débat démocratique tout en affectant les décisions politiques nationales. À travers
la naturalisation du pouvoir des non-élus, ces entités interpellent la Constitution,
et les fonctions et compétences du système politique et parlementaire ».
Dans de telles configurations, la question peut être posée de ce qu'il reste
alors du pouvoir d'expression d'une raison juridique susceptible d'inspirer un
droit porteur de finalités imprégnées de valeurs : au niveau de sa formulation
comme au niveau de sa mise en œuvre. On peut déduire des réflexions proposées
par l'auteur que sa réponse est irrémédiablement pessimiste pour ce qui concerne
le niveau de la formulation. Nos propres analyses sur le phénomène de « judiciarisation du politique » m'inciteraient à être plus optimiste pour ce qui concerne
le niveau de la mise en œuvre. Du déplacement du politique vers le judiciaire que
suggère cette « judiciarisation », telle qu'elle est décrite par une abondante littérature internationale, découlerait effectivement l'idée d'une possibilité ouverte

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 201713
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