Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 14

LA SOCIETE D'AUSTERITE

pour le pouvoir judiciaire d'apporter les corrections nécessaires à des politiques
sans plus de « raison » que des raisons matérielles. Mais là aussi l'auteur nous
laisse peu d'espoir en considérant que, dans les situations qu'il a observées, la
tendance générale du pouvoir judiciaire est majoritairement de s'articuler avec
« les instances de décisions politiques de l'austérité ».
L'avènement de la « société de l'austérité » affirmée par l'auteur, les intrications que cet avènement suppose entre l'économique, le social, le juridique et le
politique, l'ampleur des mutations qu'elle entraîne du point de vue de la régulation sociale, juridique et politique des sociétés ne peut que conduire à un retour
réflexif sur les modes de connaissance mobilisables en la matière. C'est bien ce
que fait l'auteur en se livrant à des interrogations de nature épistémologique sur
lesquelles il me faut aussi m'arrêter. Elles constituent en effet une contribution
d'importance à ce désenclavement du travail de connaissance sur le droit auquel
je suis moi-même attaché. Sur ce point, nous avons un devoir de réflexion, notamment pour les jeunes générations de chercheurs qui, au niveau international,
manifestent un intérêt croissant pour le droit comme analyseur du fonctionnement social et politique des sociétés.
Le sujet abordé par António Casimiro Ferreira, le traitement justement ambitieux qu'il en fait, conduisent à donner à voir comme une évidence la sollicitation
d'un savoir ou plutôt de savoirs qui vont finalement bien au-delà d'une sociologie spécialisée comme la sociologie du droit. Mais ce n'est pas ici simplement
l'érudition de l'auteur qui explique cet élargissement. Certes, cette érudition se
manifeste de façon éloquente dans l'inscription de sa démonstration dans une
tradition de la pensée de sciences sociales où est visée une recherche de sens des
transformations du monde. Rien ne l'illustre mieux que ses références fréquentes
à la « modernité liquide » de Zygmunt Bauman (que l'auteur associe à l'avènement d'un « droit liquide ») et aux grands auteurs porteurs à ses yeux de « sociologies désenchantées » face à « la misère du monde » née de l'accroissement inéluctable d'une vulnérabilité sociale. En fait, nous serions dans une période historique marquée par des mutations de très grande ampleur, bouleversant simultanément les régimes de régulation sociale, juridique et politique. Pour l'auteur, un
tel contexte disqualifie les paradigmes dominants de la sociologie et exige de
penser à de nouveaux paradigmes. Il considère qu'une nouvelle « théorie sociale » comme science sociale doit voir le jour et, dans ce cadre, il revient à ce
qu'il qualifie de « sociologie normative » de s'inscrire délibérément dans un retour « à la tradition d'une pensée critique » marquée notamment par « l'engagement citoyen du sociologue ». Face à la dichotomie de Raymond Boudon qu'il
rappelle - le cognitif et le scientifique versus le critique ou l'engagé -, conformément à la tradition de cette « École de Coïmbra » évoquée supra, c'est bien le
second terme de l'alternative qu'il préconise. Une telle option ne peut qu'être
offerte au débat.
À ce stade, ce que je retiendrais pour ma part sans hésitation possible, c'est
bien la question que pose l'ampleur des enjeux qu'illustre ce phénomène de « la
société de l'austérité », comme une entrée parmi d'autres possibles pour poser

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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