Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 18

LA SOCIETE D'AUSTERITE

de plein fouet les travailleurs, les retraités 4 et leurs familles. Dès le début de la
crise, l'Organisation Internationale du Travail (OIT) a dénoncé le fait que les
marchés financiers se sauvent grâce aux bails-outs massifs octroyés par les États ;
elle a pointé du doigt une situation dans laquelle les individus sont censés assurer
les coûts de la crise au moment même où ils subissent leurs effets indésirables et
inattendus ; ceux, notamment de la perte des droits et des bénéfices sociaux et de
la diminution des salaires 5.
L'austérité renvoie à un « modèle d'attache » 6, à partir duquel les enjeux
systémiques, à prédominance financière, sont liés aux individus. Ces derniers se
trouvent, en même temps que les organisations sociales, confrontés aux
politiques de « réquisition civile ». Il s'agit là d'un « cynisme économique » qui
fonde les politiques d'austérité et imprime un caractère exceptionnel à l'idée
d'utilité sociale, perçue désormais comme la seule réponse plausible à la crise.
Or, tout cela est indifférent à l'éthique. Cette « éthique cynique » ne se soucie
pas des dégâts sociaux causés par l'accroissement des inégalités, l'appauvrissement des peuples et la montée d'un malaise social. Du coup, les enjeux liés
au travail se trouvent réduits à leurs aspects techniques, ce qui pose in fine la
question du choix entre les différents modèles politiques.
En effet, trois modèles politiques s'affrontent aujourd'hui : celui de nonmarchandisation des relations du travail qui exige l'affirmation de la protection
législative des travailleurs à l'échelle nationale et internationale ; celui,
néolibéral, selon lequel la flexibilité et l'adaptabilité au marché sont non
seulement souhaitables, mais inévitables ; et celui, éclectique, qui fait la synthèse
entre la flexibilité et la sécurité donnant naissance au concept de « flexisécurité ».
Ce dernier, combinant la flexibilisation du travail et les mécanismes de la
protection sociale, a été adopté, en 2006, par la Commission européenne dans le
Livre Vert intitulé Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe.
Ce concept de flexisécurité, inspiré de la Troisième voie 7, suscita une vive
polémique. Il a pourtant séduit dans la mesure où il porte l'idée que, pour sauver
l'économie, il faut une protection sociale minimale associée au démantèlement
du droit du travail et à la régression des droits des travailleurs. Dès lors, les
mesures d'austérité ont été considérées comme inexorables. Elles se sont
affirmées en dépit de l'opposition politique et sociale ; y compris celle, sibylline,
du Conseil de l'Europe 8. Toutefois, dès le début, avec des résultats économiques

4.
5.
6.

7.
8.

Melisa SERRANO, Edlira XHAFA et Michael FICHTER (éd.), Trade unions and the global crisis:
Labour's visions, strategies and responses, International Labour Office, Geneva, 2011, p. 19.
Ibid. eod.loc.
Gregory BATESON, La nature et la pensée-Esprit et nature, une unité nécessaire, Seuil, Paris,
1990. [traduction portugaise réalisée par Maria do Rosário Carrilho, sous le titre Natureza e
espírito : Uma unidade necessária, Publicações D. Quixote, Lisboa, 1987].
Voir Serge AUDIER, Le socialisme Libéral, La Découverte, Paris, 2006.
En effet, le Sommet européen du 30 janvier 2012 se referait déjà à l'importance de la croissance
et de l'emploi au-delà de l'effort pour une discipline concernant les comptes publics, notamment
avec l'approbation d'un « pacte budgétaire ».

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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