Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 57

MUTATIONS DU POUVOIR

capitaliste et l'économie. Cela dévoile les limites de la démocratie représentative
par rapport aux intérêts du pouvoir économique.
Il convient alors de poser une hypothèse centrale : la crise économique a permis l'émergence d'un mode de production du pouvoir et du droit résultant de la
combinaison stratégique établie entre les acteurs gouvernementaux et les acteurs
non gouvernementaux. Son objectif est l'institutionnalisation d'un modèle d'austérité utilitariste maximal. La reconfiguration du pouvoir issue de cette juxtaposition des rôles politico-économiques - le pouvoir des gouvernants et celui de la
Troïka - trouve sa légitimité dans l'état d'exception. À ce titre, la situation portugaise est assez exemplaire : les réformes néolibérales, associées à la demande
de subventions extérieures, ont transformé la société portugaise de l'intérieur, car
depuis dix ans elle vit sous l'impact des mémorandums de la Troïka. On voit que
le pouvoir des non-élus est devenu une source unilatérale de détermination des
objectifs réformistes et de légitimation politique exigée par ces changements.
En fait, l'application des programmes de l'austérité au Portugal a montré la
nécessité d'un déplacement du regard sociologique, tourné désormais vers les
questions liées au pouvoir. En effet, le pouvoir des non-élus, les mécanismes
qu'il établit, les initiatives qu'il prend pour interagir avec le pouvoir des nonélus, donne matière à réflexion. Ce sont, en fait, les acteurs démocratiquement
élus qui se chargent d'interpréter de manière extensive les politiques d'austérité,
allant au-delà du prévu et prolongeant les politiques imposées par les instances
internationales.
On doit analyser le pouvoir des non-élus pour comprendre ces nouvelles problématiques. En effet, dans les démocraties modernes, les instances non élues
prennent des décisions qui affectent la vie des gens ; elles prônent des solutions
de conflits et d'intérêts qui fracturent la société ; elles déterminent les modes de
résolution des disputes concernant l'allocation des ressources ; elles effectuent
des jugements éthiques dans le cadre de zones culturellement sensibles de la société. L'exemple de la Grèce et de l'Italie, où les gouvernements ont été obligés
de démissionner pour laisser la place à de nouveaux gouvernements à caractère
technocratique, en marge des processus électoraux, est très significatif de la force
de non-élus. Il s'agit là d'un univers particulier incluant les marchés, les organisations financières internationales, les banques centrales, les agences de régulation, les agences de notation, etc.
Par ailleurs, la nébuleuse constituée par le FMI, la BCE et la CE renvoie à des
fonctions et compétences que les citoyens n'arrivent pas à identifier avec précision. Ils ne reconnaissent, dans certains pays comme le Portugal, que le terme
Troïka, invoqué par les élus lorsqu'ils ont à faire avec la complexité de la crise
et des politiques publiques qui s'enchaînent. L'influence sur les États nationaux
de ces organisations de non-élus n'est pas un phénomène nouveau, car depuis les
années 1980 les réformes néolibérales ont été inspirées dans l'arène internationale par ce type d'organisation. Toutefois, dans le contexte actuel de la crise, ces
instances supra-étatiques ont acquis un caractère radicalement dominant.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 201757

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