Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 66

LA SOCIETE D'AUSTERITE

des relations du travail, et la protection du travailleur. On s'interroge alors sur
les nouvelles fonctionnalités du droit du travail, notamment sa fonction économique instrumentale et sa fonction organisatrice. S'agissant de la première, on
voit qu'elle dépend des équilibres fragiles entre la marchandisation du travail et
les limites imposées par le droit du travail ; cette fonction oscille selon les changements survenus dans le monde du travail. Quant à la fonction organisationnelle, elle établit les relations du pouvoir dans la sphère du travail, où le pouvoir
est exercé sous l'effet d'éléments nouveaux, notamment la « dispensabilité » des
travailleurs et le rétrécissement de la négociation collective. Cela impose une
organisation du travail basée sur la « soumission volontaire » du travailleur à
l'autorité de l'employeur selon un exercice despotique dépourvu de contre-pouvoir.
En niant les fonctions anthropologiques et sociologiques du travail, dont nous
parle Alain Supiot 33, ces nouvelles formes d'organisation veulent légaliser le
contrat léonin qui occupe désormais une place prédominante dans le champ des
relations du travail. C'est notamment le cas en raison de l'affirmation des pratiques illégales, extracontractuelles, qui peu à peu acquièrent un caractère légal.
Au nom du réalisme de l'austérité, on n'hésite pas « à tuer dans l'homme sa personne juridique » 34, éloignant du droit les considérations de la justice. Dans le
monde du travail, face aux mesures de l'austérité, cette résonance schmittienne
ne paraît pas déraisonnable. Et cela, parce que ces logiques inscrivent dans le
droit du travail des éléments extérieurs à lui en évacuant son identité politicojuridique. Le droit du travail devient ainsi un produit du marché, utilisé comme
caution en vue de l'obtention des aides et des financements. Toutefois, simultanément, en éliminant la conflictualité et la corrélation des forces du champ du
travail et en réordonnant le système des devoirs et d'obligations, l'austérité ouvre
le chemin à l'émergence de structures hiérarchiques susceptibles de procéder à
un dernier ajustement politique et idéologique du droit du travail tel qu'il a été
conçu en 1974 au Portugal, c'est-à-dire après la période dictatoriale.
5.5. La dénationalisation du droit du travail
La réflexion sur le pouvoir des non-élus conduit à une dernière observation
concernant le processus de dénationalisation des réformes du travail, ce qui met
en cause la « souveraineté du travail ». En réalité, les systèmes de relations de
travail et le droit du travail n'ont jamais été totalement limités à l'espace national.
Dans ce sens, depuis le début du XXe siècle jusqu'à nos jours, le rôle de l'OIT et
du Code international du travail a eu une grande importance. Cette première
vague de dénationalisation du travail a eu l'avantage de promouvoir des mesures
et une législation orientées vers la protection du travailleur. Dans les années 1980, le Portugal a connu une autre dynamique favorable à la protection du
33. Cf. Alain SUPIOT, Homo Juridicus, Seuil, Paris, 2006. [Homo Juridicus : Ensaio sobre a função
antropológica do direito, Instituto Piaget, Lisboa, 2006, p. 9-10].
34. Voir Hannah ARENDT, The Origins of Totalitarianism, The Harvest Book, New York, 1973,
p. 381-383.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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