Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 76

LA SOCIETE D'AUSTERITE

On soutient ici l'idée que l'actuel moment du droit du travail d'exception
correspond à un approfondissement de la dimension contractuelle des relations
du travail, argument fondé sur la thèse d'Alain Supiot portant sur l'ambivalence
de structures du travail. Selon cet auteur, le travail humain se trouve toujours
dans la rencontre entre les hommes et les choses, ce qui provoque une tension et
une instabilité résultantes d'une part de l'échange du travail pour l'argent - ce
qui renvoie aux catégories du droit des obligations - et, d'autre part de la subordination juridique de la personne, qui renvoie aux catégories du droit des personnes. En valorisant la dimension humaine ou celle de l'échange économique,
l'organisation du contrat de travail s'est reflétée dans la dynamique historique de
l'institutionnalisation du droit du travail 62. Cela fut le cas du fordisme et du néocontractualisme.
Richard Hyman 63, sans négliger les spécificités des différents systèmes de
relations du travail, suit la pensée de Wolfgang Streeck quand ce dernier considère que le fordisme a subi des pressions dirigées vers deux types opposés de
redéfinitions des relations liées à l'employabilité : celui du renforcement du statut par l'intégration des travailleurs dans la « communauté de l'entreprise », en
tant que membres avec des droits et des responsabilités ; celui de la réaffirmation
du contrat par l'érosion des droits liés au statut, sous le poids de l'autorité entrepreneuriale dotée du pouvoir d'employer et de licencier. Cette dernière solution
est cautionnée par le néo-contractualisme dans la sphère du travail résultant de la
crise et de la déstructuration du fordisme.
Le néo-contractualisme du travail a été influencé par deux éléments : celui de
la fin du caractère binaire des relations du travail se référant en particulier à l'accès à la citoyenneté du travail, et celui de l'affirmation d'un droit du travail au
fondement statutaire, qui se sont consolidés sous la base de la prémisse politicojuridique d'une distinction entre « travailleur dépendant » et « travailleur indépendant » ou autonome. La contraposition de ces deux modalités de travailleurs
a conféré une certaine unité vis-à-vis de la régulation juridique des premiers, notamment à la période fordiste de la production capitaliste. Cependant, c'est ce
modèle binaire de l'emploi qui a décliné dans ces dernières décennies en raison
de la dilution ou des recombinaisons de ces formes « dépendantes » et « indépendantes » du travail tout au long d'un continuum des catégories telles que le
travail intermittent, la parasubordination, les « faux autonomes », le travail sur
appel, le travail temporaire, etc. 64.
En effet, la crise de la conception unitaire du contrat de travail et la multiplication de formules légales hybrides existantes entre les formes dépendantes et
indépendantes du travail ont matérialisé le « rêve de beaucoup d'employeurs de
pouvoir disposer d'une force de travail sans travailleurs salariés » 65. Quant au
62. Ibid.
63. Cf. Richard HYMAN, « The Europeanisation - or the Erosion - of Industrial Relations? »,
Industrial Relations Journal, vol. 32, Issue 4, 2001, p. 280-294.
64. Cf. Nicola COUNTOURIS, The changing Law of the employment relationship, Comparative analyses in the European context, Ashgate Publishing Limited, London, 2007.
65. Ibid., souligné par Jean PELISSIER, Alain SUPIOT et Antoine JAMMAUD, op. cit., p. 4.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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