Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 84

LA SOCIETE D'AUSTERITE

7. Le droit du travail face au marché global
Dans les chapitres précédents, on a analysé les mutations survenues, dans
cette période d'austérité, au cœur du droit et des relations de travail. On y a observé la perte de l'identité politique et juridique de ce droit, les changements qui
sont en cours concernant sa fonction protectrice, mais aussi l'adaptation de sa
normativité aux dynamiques imposées par le marché. On suit maintenant l'idée
d'Alain Supiot selon laquelle, dans l'actualité, le droit du travail est devenu luimême une marchandise. Cet auteur, en effet, a traité ce thème dans son article
« Le droit du travail bradé sur le 'marché des normes » 82, et ensuite dans son
stimulant livre L'esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total 83. Nous nous appuyons maintenant sur quelques-unes de ses réflexions.
7.1. Le droit du travail comme marchandise
Le concept de « marché total » est utilisé par Alain Supiot pour mettre en
évidence l'hypothèse selon laquelle la libre concurrence, qui devrait se baser sur
le droit, fonde désormais le droit lui-même. De cela résulte une espèce de « darwinisme normatif » lié à l'existence d'un marché de produits législatifs qui mène
à l'élimination progressive des systèmes normatifs moins aptes à satisfaire les
besoins financiers des investisseurs. Cela provoque l'éradication de l'idée du
juste en droit et empêche ce dernier de contribuer à une société plus juste. Concernant cet aspect, João Leal Amado a montré également que la concurrence
entre les travailleurs à l'échelle universelle, la compétitivité des entreprises, les
délocalisations, le dumping social, etc., constituent des mesures qui facilitent
l'émergence d'un « marché des produits législatifs ». En accord avec les thèses
de Supiot, cet auteur met le doigt sur la marchandisation des droits du travail
nationaux qui se trouvent en compétition sous l'égide des marchés financiers.
Ces derniers poussent ainsi à la déréglementation des législations du travail, conçues désormais comme des facteurs de compétitivité. Selon Leal Amado, en effet, l'isomorphisme entre le principe du marché et ceux qui orientent la législation du travail conduit au « triomphe des lois du marché » et à la consécration du
« marché des lois » 84.
En analysant l'implosion des marchés financiers, en 2008, Alain Supiot estima déjà à l'époque que la crise financière était un symptôme d'une crise encore
plus profonde, celle du droit. En effet, l'expression « crise du droit » correspondait à un débat scientifique et social qui signalait les failles du système judiciaire
et les difficultés qu'il avait à répondre aux besoins de la société. Pour cet auteur,
l'idée de crise touche au plus profond des contradictions qui existent entre le
82. Cf. Alain SUPIOT, « Le droit du travail bradé sur le marché des normes », op. cit. Voir aussi « O
direito do trabalho ao desbarato no mercado das normas », dans Questões laborais 26, Ano XII,
2005, Coimbra Editora, p. 121-144.
83. Alain SUPIOT, L'esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total, Seuil, Paris,
2010.
84. Cf. João LEAL AMADO, Contrato de trabalho, Coimbra Editora, Coimbra, 2009, p. 20.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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