Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 94

LA SOCIETE D'AUSTERITE

besoin d'identifier les causes de la vulnérabilité et de les soumettre à une réflexion éthique en considérant les principes constitutionnels et la législation en
vigueur. Cela doit permettre la promotion d'actions effectives susceptibles de
transformer les pratiques sociales et d'améliorer les conditions de l'existence humaine 17.
Dans les discussions actuelles, le concept de vulnérabilité est mis en rapport
avec le politique, le juridique et le social. On présentera ici les thèses de deux
auteurs majeurs en la matière : celle de Bryan Turner 18, qui traite ce sujet en le
reliant à la question des droits de l'homme ; celle de Martha Fineman qui l'examine à partir de la déconnexion qui existe entre l'autonomie libérale et la réalité
socio-politique, dans le but de comprendre la corrélation entre vulnérabilité et
liberté. Ce débat revisite les approches critiques de la pensée politique libérale
classique en insistant sur celles de la théorisation et des processus de « normativation » de la réalité ; ces derniers étant détachés des contextes sociaux et des
dynamiques, individuelles et collectives, de l'agir social. Il se focalise notamment sur les conséquences sociologiques d'une vision formelle de la rationalité
et de l'autonomie individuelle. En fait, la puissance analytique du concept de
vulnérabilité du sujet social implique l'admission d'une thèse contraire, celle de
l'auto-détermination non libérale du sujet et de la prédominance des liens sociaux, politiques, juridiques et institutionnels. Il y a là, comme reconnaît Amartya
Sen, l'idée de l'indivisibilité entre le développement social et les libertés 19.
8.2. Vulnérabilité, précarité institutionnelle et droits de l'homme
La théorie de Bryan Turner est axée sur l'interdépendance des individus par
rapport aux institutions. Il y avance trois prémisses : celle selon laquelle nous
sommes ontologiquement fragiles et vulnérables ; celle qui affirme que les institutions, créées pour combattre cette fragilité, sont elles-mêmes précaires ; celle
de la fragilité et de la précarité qui génèrent cette interdépendance dans le monde
social. Cette approche, considérée néo-hobbesienne, exige de repenser la théorie
du contrat social. La vie sociale se trouve dans un équilibre contingent entre le
manque et la solidarité. Dans ce sens, la lutte hobbesienne pour compenser le
déficit des choses menace constamment les institutions dont la précarité est réparée par la solidarité provenant des expériences partagées par embodiment. Pour
cet auteur, l'embodiment est un processus social. Il est l'effet de pratiques continues d'incarnation d'expériences qui donnent « corps » à la place de chacun dans
la vie en société. Il correspond à la manière où les individus se situent dans l'habitus social 20. En tant que processus, l'embodiment a plusieurs dimensions,
parmi celles-ci, la subjectivité qui constitue le fil d'attache de l'individu au
17. Ibid., p. 25.
18. Bryan TURNER, Vulnerability and Human Rights, The Pennsylvania State University Press,
University Park, 2006.
19. Cf. Amartya SEN, Développement, justice, liberté, Éditions Odile Jacob, Paris, 2003.
20. Cf. Bryan TURNER, « The end(s) of humanity: vulnerability and the metaphors of membership », dans The Hedgehog Review, 3 (2): 7-32, 2001, p. 13.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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