Bibliothèque de droit public - Tome 301 - Le juge administratif et les revirements de jurisprudence - 154

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LE JUGE ADMINISTRATIF ET LES REVIREMENTS DE JURISPRUDENCE

l'illustrent ces quelques propos extraits de sa thèse : « il faudra donc, pour savoir
quelles sont les limites de la rétroactivité, distinguer les effets juridiques produits
sous la première loi, qui ne peuvent être atteints sans qu'il y ait effet rétroactif, et les
effets juridiques qui se produisent seulement après la mise en vigueur de la loi nouvelle, et qui seront déterminés par celle-ci, sans qu'il y ait autre chose qu'un effet
immédiat »202. La nouvelle loi n'altère donc en rien les effets déjà produits par une
situation juridique puisque tous les effets juridiques produits dans le passé entrent
sous le joug de la loi ancienne. Les effets juridiques produits à compter du jour de
la promulgation de la loi nouvelle doivent, quant à eux, se voir appliquer immédiatement les dispositions de ladite loi. La théorie du doyen roubier invite donc
à une distinction claire entre la survie de la loi ancienne, l'application de la règle
de droit nouvelle à des situations constituées, qualifiée de « rétroactivité » et,
enfin, l'effet immédiat de la loi nouvelle. Cette distinction apparaît parfois ténue.
173. La théorie de P. roubier, reposant sur la distinction entre l'effet rétroactif et l'effet immédiat de la norme, n'est pas ignorée du juge administratif. Le juge
administratif, en tant que juge de la légalité, est inévitablement amené à jouer un
rôle de premier plan relativement à la question de l'application dans le temps de
la norme. Ainsi, le Président B. Genevois relevait, dans ses conclusions sur l'arrêt
« Revillod et autres »203, que « le droit public postule plus encore que le droit privé
l'application immédiate de la norme nouvelle aux situations en cours »204. Toutefois,
si la dichotomie retenue entre l'application immédiate et l'application rétroactive
de la norme est au fondement de la jurisprudence administrative ayant trait à
l'application dans le temps des normes non jurisprudentielles, il semble que le
juge administratif se montre beaucoup plus hésitant à distinguer de façon explicite dans ses arrêts de revirement l'application immédiate et l'application rétroactive de la norme jurisprudentielle, tout du moins il ne construit sa méthode qu'à
l'aune de la notion de « rétroactivité ».
174. Il convient, dans un premier temps, d'aborder la problématique de l'application dans le temps des normes non jurisprudentielles. relativement à la question de l'application dans le temps des actes administratifs, le juge administratif a
eu l'occasion de consacrer au rang de principe général du droit la règle de nonrétroactivité des actes administratifs, ainsi qu'en témoigne le célèbre arrêt « Société
du journal l'Aurore »205. Le principe de non-rétroactivité des actes administratifs
implique qu'un acte administratif ne peut, sous peine de nullité, produire d'effet à
une date antérieure à celle de sa publication s'il s'agit d'un acte réglementaire ou à
celle de sa notification s'il s'agit d'un acte individuel206. Toutefois, le juge administratif n'adopte nullement une conception large de la rétroactivité puisque ce
dernier tend à distinguer les situations juridiques constituées des situations juridiques non constituées. Il en résulte que le principe de non-rétroactivité des lois ou
des actes administratifs ne fait pas obstacle à leur application immédiate. La position du juge administratif est, sur ce point, ancienne : le principe de l'effet immédiat de la loi nouvelle fut formellement érigé au rang de principe général du droit
202. rOUBIer (P.), Le droit transitoire : Conflits de lois dans le temps, op. cit., p. 204.
203. Ce, Sect., 19 décembre 1980, « revillod et autres », req. n° 12387, Rec., p. 479.
204. GeNeVOIS (B.), Conclusions sur Ce, Sect., 19 décembre 1980, « revillod et autres » et
Ce, Sect., 19 décembre 1980, « Association La Protection de la nature de la région de Damgan », D.,
1981, p. 398 à 403, spéc. p. 401.
205. Ce, Ass., 25 juin 1948, « Société du journal l'Aurore », req. n° 94511, Rec., p. 289.
206. Ce, 25 février 1949, « roncin », Rec., p. 92.
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