Bibliothèque de droit public - Tome 301 - Le juge administratif et les revirements de jurisprudence - 319

Le JUGe ADMINISTrATIF CONFrONTÉ À SON POUVOIr CrÉATeUr

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en cause la règle jurisprudentielle par une loi contraire, le législateur démontrerait implicitement qu'il ne s'y oppose pas et même qu'il l'approuve. Toutefois, à
la suite de certains auteurs146, nous devons souligner que cette assertion n'est
pas tout à fait convaincante car la théorie de la réception implicite repose sur
l'idée, qui ne se vérifie pas en pratique, selon laquelle le législateur aurait toujours connaissance de la jurisprudence et en outre, même si le législateur valide
implicitement, cela n'empêche en rien que le juge dispose d'un pouvoir créateur. Une autre justification a été apportée en 1950 par J. Maury au pouvoir
créateur du juge. elle repose sur deux arguments combinés, à savoir « la décision
du pouvoir que sont les tribunaux » et le « consensus des intéressés »147. Selon
l'auteur, la jurisprudence revêt un caractère créateur et est une source de droit
en raison de l'adhésion des intéressés, l'auteur prenant soin de préciser qu'il
entend par cette dénomination faire référence au juge lui-même, aux hommes de
loi et aux juristes. Nous ne souscrivons pas à cette analyse car l'ordre des causalités ne saurait être inversé. L'on ne saurait conditionner l'existence d'une règle
à l'assentiment des intéressés. C'est parce qu'il y a règle que les justiciables
consentent à la respecter. Dans les années soixante, le professeur r. Chapus,
s'interrogeant sur la valeur juridique des principes généraux du droit, considère
que « si on envisage l'action et les pouvoirs du juge sur le plan de l'interprétation
des normes juridiques on ne peut donner aucune solution au problème » mais
qu'« il en va tout autrement lorsqu'on considère l'action et les pouvoirs du juge sur
le plan de l'appréciation de la validité des normes »148. L'argumentation ne tient
pas aujourd'hui car elle repose sur une vision contestable de l'interprétation
puisque l'auteur rejette l'idée selon laquelle l'interprétation des normes juridiques résulterait, pour une part, de la volonté du juge administratif149. Dans
son ouvrage de droit administratif général, r. Chapus relève néanmoins que si
la jurisprudence « n'a pas sa place dans le système officiel des sources (...) il n'est
toutefois pas exclu qu'on puisse donner sa légitimité au droit jurisprudentiel »150.
Selon l'auteur le droit jurisprudentiel trouve sa légitimité dans le Titre préliminaire du Code civil et, reprenant à son compte la thèse de M. Waline, dans
l'abstention du législateur. Dans les années soixante-dix, S. Bélaïd justifie quant
à lui le pouvoir normatif du juge en considérant que ce dernier est « un pouvoir
politique »151. Cette thèse novatrice est à l'évidence discutable car l'indépendance organique et fonctionnelle du juge administratif est le signe qu'il est un
organe indépendant du pouvoir politique et non un pouvoir politique. D'abord,
c'est en réaction à la théorie du ministre-juge que s'est construite la juridiction
administrative et, en outre, le juge administratif n'a pas les attributs d'un organe
146. Voir pour les observations critiques apportées à la thèse de M. Waline : BeLAÏD (S.), Essai
sur le pouvoir créateur et normatif du juge, p. 55.
147. MAUrY (J.), « Observations sur la jurisprudence en tant que source du droit », in Le droit
privé au milieu du xxe siècle, Études offertes à G. Ripert, Paris, LGDJ, 1950, t. I., p. 29 à 50, spéc. p. 43.
148. CHAPUS (r.), « De la soumission au droit des règlements autonomes », D., Chron., 1960,
p. 119 à 126, spéc. p. 119.
149. CHAPUS (r.), ibid. : l'auteur considère que l'interprète « ne fait rien d'autre que définir et
faire connaître ce qu'est le contenu d'une norme édictée par une autre autorité. Il n'édicte aucune norme
qui lui soit propre ; il explicite ce qu'a voulu l'auteur de la norme et c'est ce dernier qui s'exprime par la
voix du juge ».
150. CHAPUS (r.), Droit administratif général, op. cit., n° 162, p. 124.
151. BeLAÏD (S.), Essai sur le pouvoir créateur et normatif du juge, op. cit., p. 288 : L'auteur
considère que le pouvoir juridictionnel est un pouvoir politique et un pouvoir souverain en raison de
son « indépendance organique » et de son « indépendance fonctionnelle ».

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