Les Mélanges - Mélanges en l'honneur de Jérôme Huet - 408

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DROIT D'AUTEUR ET DÉMATÉRIALISATION

Peut-on raisonner de la même manière lorsque l'œuvre est mise à disposition
sous forme dématérialisée ?
On sait que la CJUE a estimé, dans le cas du logiciel, que la dématérialisation
n'avait pas d'incidence sur l'analyse juridique de cette situation, mais aussi que la
solution a été fortement critiquée28. Une partie de ces critiques est liée à la confusion
entretenue par la Cour entre la copie du logiciel et sa licence d'utilisation, autrement
dit entre l'œuvre incorporelle, le droit d'auteur y afférent et son support.
Pour éviter cet écueil29, on commencera par tenter de qualifier l'opération au
regard du droit civil (A) puis on déterminera l'incidence éventuelle du droit d'auteur sur l'analyse (B).

A. La qualification de l'opération au regard du droit civil
La mise à disposition d'une œuvre sous forme dématérialisée, sans limitation
de durée et en contrepartie d'un prix, peut-elle être qualifiée de vente à l'instar de
la mise à disposition réalisée dans de mêmes conditions par le truchement d'un
support matériel tangible ?
La vente est caractérisée, en droit français, par le transfert de propriété sur une
chose, en contrepartie d'un prix (C. civ., art. 1582 et 1583)30. Il faut donc une
chose, objet du droit réel de propriété, et un transfert de ce droit, réalisé à titre
onéreux.
Ces trois critères sont bien présents dans l'hypothèse où l'œuvre est fixée sur
un support matériel tangible : l'utilisateur acquiert le livre, le CD, le DVD, etc.,
et devient par cette opération titulaire d'un droit réel sur la chose, objet de la
transaction ; il peut en user, en tout cas dans sa sphère privée, comme la revendre,
librement. Observons d'ores et déjà que la chose en question est un bien matériel
tangible, mais qui incorpore une œuvre intellectuelle : roman, œuvres musicales
ou audiovisuelles, etc. Et que si cette acquisition ne confère à l'acquéreur aucun
droit sur cette œuvre, autre que celui d'en jouir dans sa sphère privée, c'est bien
pour pouvoir profiter de cette œuvre qu'il effectue l'opération : il achète le livre
en droit d'attendre de la vente de son bien, le propriétaire pourrait hésiter, voire renoncer, ce
qui constituerait une limitation indirecte de sa liberté d'aliéner. Mais, selon la CJUE, la
stipulation contractuelle faisant supporter le coût du droit de suite à l'acquéreur est licite, si
bien que le droit de propriété matérielle est alors indemne : CJUE, 4e ch., 26 févr. 2015,
aff. C-41/14, Christie's France SNC/Syndicat national des antiquaires.
28. V. la majorité des commentateurs cités note 7. Sous l'angle qui nous intéresse, il est
surtout regrettable que la Cour de justice ne se soit pas astreinte à démontrer que l'opération
réunissait tous les critères de la qualification de vente, qu'elle retient, ni à préciser l'objet du
droit de propriété en cause.
29. En étant conscient que l'éviter laisse entières d'autres critiques sérieuses à l'encontre
de l'arrêt Oracle ; mais ces autres critiques ont trait à la portée de l'épuisement du droit de
distribution et sont principalement fondées sur les textes internationaux excluant cet
épuisement en cas de mise à disposition d'une œuvre en ligne. Cette critique, indiscutable de
lege lata, mérite d'être réexaminée de lege ferenda.
30. En ce sens, v. par ex. Bénabent A., Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux,
10e éd., 2013, LGDJ, n° 30.

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