Hors collection - Droit(s) et Street Art - 62

STREET ART ET DROIT DES BIENS

n'est pas chose aisée et, sacrifiant aux usages académiques, je ferai le choix
de la simplicité en évitant les développements trop théoriques ou abstraits.
D'autre part, parce que le droit des biens véhicule des solutions qui vous
paraîtront sévères pour les street artistes. Je prends donc le risque de passer
pour le grincheux ou le réactionnaire de la matinée. Gardez donc présent
à l'esprit que les propos que je vais tenir devront être nuancés et atténués
par ceux que tiendra, juste après moi, ma collègue Nathalie Blanc.
Le droit des biens s'intéresse aux relations entre les hommes et les
choses. C'est, selon la formule de Max Verbier, le droit des richesses, le
droit de ce qui est utile à la satisfaction des besoins matériels de l'homme.
Cette approche permet, pour le sujet qui nous intéresse, de circonscrire le
domaine de l'intervention. Je ne parlerai pas des salissures ou des gribouillages qui enlaidissent souvent les murs des villes ; cette question relève du
droit pénal dont la fonction punitive assure indirectement la protection de
la propriété privée. Je parlerai seulement des hypothèses où une œuvre, qui
a de la valeur, est apposée sur la chose d'autrui. Je suis bien conscient que
cette opposition est discutable puisque le gribouillage d'hier sera peut-être
l'œuvre de demain ; mais, pour discutable qu'elle soit, cette opposition
permet de nous concentrer sur la question essentielle : à qui appartient
l'œuvre (sous-entendu qui a de la valeur) que le street artiste applique sur
le mur d'un immeuble ou sur une rame de métro ?
Cette question se pose souvent après coup : Jace nous a dit que l'artiste ne
se soucie guère de cela lorsqu'il intervient. Sa seule intention est de laisser
une trace, de faire passer un message, d'interpeller... en étant bien conscient
de l'illégalité de son intervention, de sa totale gratuité et de la fragilité de son
œuvre : peut-être restera-t-elle, peut-être disparaîtra-t-elle, peut-être serat-elle recouverte, peut-être même l'artiste sera-t-il interpellé... Il connaît
toutes ces éventualités et s'en accommode. Cela fait partie du jeu !
Et pourtant...
Et pourtant Jace nous a expliqué combien il était agacé lorsque des individus lui présentaient des œuvres de rue arrachées à leur support ou lorsque,
pire encore, des décideurs publics tentaient de réserver à leur profit exclusif
une œuvre qu'ils avaient par ailleurs refusé de financer quelques semaines
auparavant. Au-delà de ces exemples désolants, d'autres cas ont défrayé la
chronique artistique : ici, le pochoir Slave Labour de Banksy qui, mystérieusement disparu de son mur londonien en février 2013, est réapparu
dans une vente aux enchères à Miami, avant d'être retiré du catalogue3 ; là
encore, les innombrables mosaïques de Space Invader, qui portent les
3. S. Lyall, « Borough Searches for Missing Boy, Last Seen on Wall », The New York
Times, 28 févr. 2013 ; L. Cross, « Banksy Haringey mural auctioneers "will cancel sale if

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