Hors collection - Droit(s) et Street Art - 68

STREET ART ET DROIT DES BIENS

avait eu à trancher un litige opposant le propriétaire à des occupants sans
droit ni titre qui avaient réalisé une mosaïque : les juges ont décidé de laisser
un délai de deux mois aux occupants pour enlever la mosaïque, à défaut
de quoi le propriétaire pourrait en disposer librement18. Commentant ce
jugement Christophe Caron que nous entendrons cet après-midi avait salué
le caractère pragmatique de cette décision qui permettait de trouver « un
bon modus vivendi pour concilier deux droits aux relations tumultueuses ».

2. Des mécanismes à inventer
Il existe en effet un mouvement profond qui tend à remettre en cause
le caractère exclusif de la propriété. On considère ainsi que certains biens,
comme les biens environnementaux ou les biens culturels, sont des biens
communs en ce sens qu'ils appartiennent à tous et que leur « propriétaire »
est seulement tenu de les entretenir et de les conserver19. Dans cette optique,
le bien commun est destiné à l'usage de tous et le propriétaire apparaît plus
comme son dépositaire que comme son maître. Cette approche ouvre sur
un nouveau modèle de propriété : la propriété n'est plus le droit d'exclure
les autres ; elle suppose au contraire un droit d'inclusion des autres. La
propriété individuelle devient une sorte de « transpropriation »20.
Le parallèle avec les œuvres de rue est tentant21 : ne serait-il pas possible
de considérer que l'œuvre appartient à tous et que le propriétaire de l'immeuble sur lequel elle est apposée n'en est que le dépositaire ? Il engagerait
ainsi sa responsabilité en portant atteinte à la destination commune de
l'œuvre, par exemple, en la décollant de son support, en l'exposant dans
une galerie, ou en la vendant...
Pour séduisante qu'elle soit cette conception bouscule la théorie classique
et individualiste de la propriété. Or, je ne suis pas convaincu que les esprits
soient prêts pour une telle collectivisation des richesses. Il faudra donc
que des décennies s'écoulent et que bien des murs soient encore graffés
ou recouverts avant qu'un tel bouleversement des mentalités se produise.
18. TGI Paris, 13 oct. 2000, CCE, comm. n° 126, obs. C. Caron.
19. F.-G. Trébulle, « La propriété à l'épreuve du patrimoine commun : le renouveau du
domaine universel », Études Ph. Malinvaud, 2007, Litec, p. 619 ; J. Rochfeld, « Penser
autrement la propriété : la propriété s'oppose-t-elle aux "communs" ? », Rev. internationale
de droit éconoique, 2014, p. 351 ; A. Chaigneau, « Des droits individuels sur des biens
d'intérêts collectif, à la recherche du commun », Revue internationale de droit économique,
2014/3, p. 335 et s.
20. F. Ost, La nature hors la loi. L'écologie à l'épreuve du droit, 2003 La Découverte,
p. 323.
21. En ce sens, A. Héritier, « Le street art, bien commun artistique », Juris art etc,
déc. 2014, p. 39.

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