Contextes - Littératures populaires du droit - 26

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LITTÉrATureS POPuLAIreS Du DrOIT

foisonnante, surtout lorsqu'elle n'est pas codifiée62. Sans volonté critique
particulière, d'autres opus, plus rares, dressent simplement le constat de
la technicité somme toute bien naturelle de cette science qu'est le droit63.
Très nombreux sont les ouvrages adossant leur dénonciation de l'abstrusité du langage juridique à l'adage « Nul n'est censé ignorer la loi »,
lequel apparaît, dans les préfaces ou sur la page de couverture, à une dizaine
d'occurrences. Sous la plume des auteurs ou de leurs éditeurs, la littérature populaire du droit a pour objectif de rendre effectif un adage qu'ils
qualifient de « fiction légale »64. Or, les auteurs dévoient ici le sens originel
de la formule, qui se référait initialement à l'accès matériel à la loi et non
à son intelligibilité : une fois la loi publiée, elle était réputée exécutoire
immédiatement, indépendamment de sa connaissance, et, a fortiori, de sa
compréhension effective par le justiciable65. Sans qu'il soit possible de déterminer dans quelle mesure cette mésinterprétation est volontaire ou fortuite,
force est de constater que les auteurs de littérature populaire juridique
tirent la maxime du côté de la démocratisation du droit : sous la Troisième
république particulièrement, tout le monde doit connaître ensemble le
droit, et ses droits.
Au-delà du vocabulaire juridique toutefois, ce sont fréquemment les
travers des hommes de loi qui sont réprouvés. Les ouvrages de littérature
p. V-VI) et, dans la première moitié du xixe siècle, par A. Cantareuil, Le conseiller des
familles ou le droit mis à la portée de tout le monde..., op. cit. (« Introduction », p. 3).
62. G. de Sambucy, La clé des affaires. Pratique du droit usuel..., op. cit., page introductive non paginée. (l'auteur évoque « l'affreux dédale de notre législation ») ; « Avis de
l'éditeur », in G. d'Hailly et É. Quétand (dir.), Les lois à la portée de tout le monde...,
op. cit., p. II (les auteurs parlent également du « dédale de nos lois ») et « Avant-propos »,
in G.-B. Valentin, La minorité. Manuel à l'usage des tuteurs..., op. cit., p. 8, qui compare
le Code civil à un « labyrinthe » impénétrable pour le profane. Le même mot est utilisé par
Saint-Bonnet, Nouveau dictionnaire de droit français, à l'usage de tout le monde, op. cit.
(« préface », p. III).
63. « Au lecteur », in J.-L. Crivelli, Dictionnaire de droit civil, commercial, criminel et
de procédure civile et criminelle, ou Glossaire général des termes employés dans le langage
particulier des lois, de ceux du droit français et de ceux usités dans la pratique judiciaire,
Paris, A. Bavoux, 1825, p. V et Denizart fils, Le nouveau formulaire général ou guide
du propriétaire..., op. cit., p. V.
64. « Introduction », in G. Delahaye, Traité usuel à l'usage de tous pour la vulgarisation
des lois..., op. cit., non paginée.
65. Sur cet adage, inventé en 1819 par le civiliste Delvincourt, cf. B. Bernabé, « Écrit et cri
de la loi du Moyen Âge. "Pour que la loi obtienne vertu d'obliger" », in L'écho des lois. Du
parchemin à internet, Paris, La Documentation française, 2012, p. 48 et K. Weidenfeld,
« "Nul n'est censé ignorer la loi" devant la justice royale (xive-xve siècles) », in C. Gauvard
(dir.), Information et société en Occident à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la
Sorbonne, 2004, p. 165-166. Voir, pour une lecture plus générale, C. Puigelier, Lire la
maxime « Nul n'est censé ignorer la loi », Paris, Mare & Martin, coll. Droit & Littérature,
2015.
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