Contextes - Littératures populaires du droit - 8

LITTÉrATureS POPuLAIreS Du DrOIT

juristes de profession. Aussi a-t-on l'habitude d'écrire l'histoire du droit
en ne prenant en compte que cette littérature qui révèle, il est vrai, l'état
du droit tel qu'il est pensé et pratiqué dans un pays - en l'occurrence la
France - qui confère aux facultés de droit le monopole de la collation des
grades juridiques et qui compte non seulement une classe nombreuse de
juristes patentés, comme les magistrats, notaires et avocats ou encore les
universitaires, mais également tout un monde qui gravite autour de ces
derniers : conseillers et assistants juridiques de tout ordre, clercs, secrétaires
jusqu'aux « saute-ruisseaux »3.
Pour autant, c'est oublier que dans les caves et greniers ou dans les bibliothèques municipales trônent une foule de livres qui ne sont ni scientifiques,
ni réservés aux juristes. Ils forment alors ce qu'il est possible d'appeler une
littérature « populaire » du droit, en ce qu'ils ne sont ni réservés aux juristes
ni forcément écrits par des juristes de profession. Les profanes auxquels ces
publications s'adressent presque exclusivement sont en quelque sorte tous
ceux à qui ne s'adressent pas les livres de droit stricto sensu. Il y a ainsi toute
une littérature grise qui ne retient guère l'attention des historiens du droit
et qui pourtant véhicule ce qu'est le droit pour toute une population de
professionnels divers et variés, de curieux et d'utilisateurs allant de l'artisan
ou de l'architecte jusqu'à « l'homme de la rue » n'ayant jamais mis les pieds
dans une faculté de droit, un cabinet d'avocat ou même un tribunal.
Cette littérature « populaire », par opposition à celle destinée aux spécialistes que sont les juristes (mais non populaire au sens où elle ne s'adresse
pas au « peuple » comme groupe politique opposé aux élites économiques
et sociales), devient ainsi la vitrine de ce que le non-spécialiste, profane
par définition, sait du droit ou de ce qu'il est susceptible d'apprendre du
droit par lui-même. un tel savoir portant sur le droit existe bel et bien, et
il suffit pour le constater de porter notre regard sur la multitude d'opérations quotidiennes qui ont des effets juridiques sans pour autant être
réalisées par ou devant des juristes, ou encore toutes ces pratiques qui
anticipent une éventuelle réaction juridique des autorités et tentent, parfois
désespérément, d'échapper au pouvoir du droit. Parce qu'il sait que, potentiellement, le droit est là, que l'autorité publique peut être saisie pour le
contraindre au respect d'une règle (qu'il ne maîtrise pas), le profane veut
savoir quelque chose de ce qui l'attend4, veut pouvoir prévoir la réaction
3. Au milieu du xixe siècle, la France compte environ 6 000 étudiants en droit. Parmi ces
derniers, 2 000 sont étudiants à la Faculté de droit de Paris (à titre de comparaison, ils sont
200 000 en 2016). Il n'en demeure pas moins que le nombre total de juristes est bien plus
important, même s'il reste difficile à évaluer. Sur ces questions, v. spécialement F. Audren
et J.-L. Halpérin, La culture juridique française. Entre mythes et réalités (xixe-xxe siècles),
Paris, éd. du CNrS, 2013, p. 31 et 63.
4. V. O. Wendell Holmes, Jr., "The Path of the Law," 10 Harvard Law Review 457
(1897).

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