Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 117

THOMAS HOCHMANN

113

a laissé entendre de manière peu convaincante que l'établissement juridictionnel des faits tendait à impliquer le caractère haineux et préjudiciable des
propos qui en contestent l'existence. Néanmoins, avec l'aide d'une doctrine
prête à lire dans ses décisions davantage qu'elles ne contiennent, le Conseil
a mis en place un véritable effet dissuasif constitutionnel. En procédant
par insinuation, il a laissé croire, sans jamais l'affirmer ni évidemment le
démontrer, à l'existence d'une zone d'inconstitutionnalité, dans laquelle
le législateur n'ose pénétrer.
Le gouvernement, qui avait annoncé son souhait d'incriminer la négation
du génocide arménien, aurait parfaitement pu s'efforcer d'obtenir une loi
qui vise précisément cette expression, à charge ensuite pour lui de démontrer qu'elle s'inscrit dans une propagande de haine, qu'elle développe des
effets néfastes qui justifient son incrimination. Mais l'effet dissuasif mis en
place par le Conseil a conduit à la rédaction du texte extrêmement complexe
qui figurait dans la loi Égalité et citoyenneté.
Cette réécriture de l'article 24 bis s'inspirait visiblement de la décision
de 2016. Un établissement du caractère préjudiciable était exigé par la loi
pour la négation des crimes qui n'ont pas fait l'objet d'une reconnaissance
juridictionnelle, tandis qu'il semblait présumé pour la négation des crimes
établis par un tribunal. Cette retranscription législative des insinuations
du Conseil a paraissait avoir au moins le mérite de pouvoir le placer face
aux raisonnements qu'il se contente de sous-entendre. On attendait avec
impatience de voir si le Conseil, une fois saisi du nouvel article 24 bis,
assumerait ce lien par lui suggéré entre la reconnaissance juridictionnelle du
crime et le caractère haineux de sa négation. Une appréciation raisonnable
(qu'on se gardera bien d'annoncer de la part du Conseil constitutionnel
sur ces questions) semble en effet devoir conduire au constat de l'inconstitutionnalité de cet aspect de la disposition. Il est difficile de considérer
que toute négation d'un crime contre l'humanité ou d'un crime de guerre,
fût-il reconnu par un tribunal, constitue une expression préjudiciable et
donc susceptible d'interdiction. En 2007, l'incrimination de la négation
de tout génocide a, pour cette raison, été jugée inconstitutionnelle par le
Tribunal constitutionnel espagnol21.
Mais lorsqu'il s'agit de brouiller les pistes sur la question du négationnisme, le Conseil constitutionnel déploie des trésors insoupçonnés
d'imagination. Dans sa décision du 26 janvier 2017, il décide de n'examiner
qu'une seule des deux branches de l'alternative posée par le nouvel article 24
bis. Le Conseil a jugé contraire à la Constitution l'incrimination du négationnisme lorsqu'il constitue une incitation à la haine. Il a en revanche
21. Cf. Hochmann Th., Le négationnisme face aux limites de la liberté d'expression, op.
cit., pp. 502 s.

Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ?

Table des matières de la publication Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ?